La femme adultère de Nicolas Poussin
Le harcèlement médiatique et l’oubli du troisième œil, qui est l’œil de la bienveillance
Récemment, avec l’affaire de Rugy, les événements politiques nous ont mis en face de pratiques qui peuvent nous interroger. Il est tout à fait souhaitable que le comportement de nos responsables soit contrôlé et Médiapart nous donne l’exemple d’une très grande rigueur dans ses analyses. Mais, en même temps, il semble que nous n’échappions pas à une forme de toute-puissance, qui pourrait nous détruire. Il s’agit bien en effet de donner plus d’espace et de force à la recherche du bien commun, pour sortir les individus de leur égoïsme. Mais, en passant du moi au nous, nous n’atteignons pas, pour autant, le fondement de notre humanité qui nous permet de construire des sujets humains. Sans laisser de côté le bien commun, il s’agit de donner la place principale au souci inconditionnel de l’autre car c’est là que nous pouvons atteindre l’absolu, qui peut servir de base à la construction humaine. Pour s’en être tenu à l’absolu imaginaire du bien commun, les socialistes marxistes ont envoyé à la mort des centaines de millions de citoyens aussi bien en Chine qu’en URSS.
L’expérience d’un manque dans le voir : je ne vois qu’avec un œil, l’œil droit ou l’œil gauche
Pour mieux me faire comprendre, je voudrais partir d’un exemple personnel. Depuis quelque temps, je vois deux images au lieu d’une. Tout finit par se résoudre si je ferme l’un des deux yeux. Mais une telle pratique n’est pas une vraie solution car bien voir c’est voir avec ses deux yeux.
Le saut de l’opération pour voir avec mes deux yeux
C’est ainsi que j’ai été mis en face d’une décision fondamentale : subir une opération chirurgicale pour retrouver la vision binoculaire. L’opération a eu lieu il y a près d’un mois et le contrôle définitif se fera dans une dizaine de jours. Pour le moment, je suis dans l’inconfort, car je ne peux plus utiliser de lunettes pour regarder la télévision. Par contre, d’anciennes lunettes me permettent tant bien que mal de lire et de travailler sur l’ordinateur, en attendant une nouvelle ordonnance de l’ophtalmologue. J’ai ainsi tout mon temps pour apprendre à apprécier le bonheur de voir enfin avec deux yeux.
La perception d’un manque plus fondamental du voir
En même temps, je finis par ressentir que les deux yeux eux-mêmes recèlent un manque : ils ne suffisent pas à expliquer que je voie. Ils ne sont que des instruments qui renvoient à un voir plus fondamental.
Bien voir c’est voir avec son manque : avec son troisième œil
Il faut ainsi que je prenne conscience que les deux yeux opérés et que les nouvelles lunettes elles-mêmes ne vont pas me permettre de voir vraiment. Je dois accepter de traverser le manque, de voir avec mon manque, pour accéder à la plénitude de la vision, à celle que me procure le troisième œil. Je ne cherche pas à faire allusion à la conception, en partie ésotérique, du troisième œil, qui passerait par une ouverture des chakras. Sans dévaloriser une telle recherche, je veux souligner qu’il y a du tiers, qu’il y a de l’autre et donc une certaine forme d’absolu dans le voir.
Le danger de juger l’autre sans utiliser le troisième œil
Il devient de plus en plus clair que le bien voir passe par le troisième œil, qui fait une place au tiers et à l’absolu de l’autre. Bien voir c’est donner toute sa place au visage unique de l’autre. L’autre résiste alors au jugement car il résiste à la toute-puissance, d’où qu’elle vienne. Ainsi celui qui veut juger l’autre est jugé par le propre jugement qu’il porte.
Le troisième œil, c’est l’œil de la bienveillance
Depuis longtemps, les grands philosophes et les grands spirituels ont attiré notre attention sur la nécessaire bienveillance qui doit présider au jugement de l’autre. Plus récemment, Lévinas et Derrida ont insisté sur l’attention inconditionnelle que l’on doit accorder à l’autre et en ont fait le fondement de l’anthropologie elle-même. En fait, il y a, dans l’Evangile, un passage très simple et très concret, qui dit tout sur le sujet et qui a déjà été utilisé dans ce blog. Il s’agit du récit sur la femme adultère (Jean 8, 1-11). Une femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Selon la Loi, elle doit être lapidée. Des spécialistes de la Loi et des pharisiens la présentent à Jésus pour le mettre à l’épreuve. Il leur dit alors : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». Au bout d’un moment tous sont partis, des plus jeunes jusqu’aux plus vieux. Alors, Jésus revient vers la femme et lui dit : « Personne ne t’a condamnée ? – Non personne. – Moi non plus je ne te condamne pas lui dit le maître, mais ne pèche plus ».
Etienne Duval