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19 mai 2015 2 19 /05 /mai /2015 15:20



L’oubli du sujet dans la connaissance

Apprendre c’est apprendre à penser par soi-même

 

Aujourd’hui, la connaissance semble venir à notre rencontre sans que nous ayons besoin de la solliciter. Avec l’invention de l’écriture, puis avec l’irruption de l’imprimerie et, maintenant, avec le développement du numérique, le savoir est à notre portée comme il ne l’a jamais été. Et pourtant nous sommes menacés au plus profond de nous-mêmes. Normalement le processus de la connaissance est aussi un processus qui favorise de construction du sujet. Or, en ce moment même, l’inflation de l’écrit, à travers le numérique, finit par bloquer une telle construction. Il ne s’agit pourtant pas de rejeter la technique nouvelle qui va transformer le monde. Il faut au contraire l’assumer et découvrir les nouvelles stratégies qui en feront un atout supplémentaire pour que nous apprenions plus facilement à penser par nous-mêmes.

L’acquisition de la connaissance passe par le dialogue avec l’autre

La maïeutique de Socrate nous sert encore de guide aujourd’hui pour l’acquisition de la connaissance et le développement du sujet.  Or la première condition qu’elle pose consiste à intégrer la présence de l’autre pour entrer dans le dialogue. Je ne puis être moi-même ou le devenir qu’en faisant une place à l’autre. Toute acquisition de connaissance suppose que je me situe dans la condition humaine non pas en m’enfermant en moi-même mais en entrant dans « l’être avec l’autre». En fait, la tentation est grande de remplacer l’autre, et en particulier le maître, par le texte écrit ou par l’ordinateur.

Connaître, c’est d’abord savoir que je ne sais pas

Pour Socrate encore, je ne peux entrer dans la connaissance que si je sais que je ne sais pas. Il existe une dialectique fondamentale entre le savoir et le non savoir. En prenant conscience de mon manque de savoir, je mets en place le moteur qui me permettra d’apprendre. Si je crois que je sais, je ne serai pas enclin à apprendre. En fait,  le déclic, qui ouvre l’individu au monde de la connaissance, passe par la prise de conscience de son non savoir. Et c’est alors que va naître le désir de connaître. Le tort de nombreux pédagogues consiste à croire qu’ils vont apprendre à l’autre. En réalité, c’est l’apprenant lui-même qui apprend, mobilisé par son propre désir de connaître. Il faut donc une grande modestie de la part du maître pour accepter de confier  le rôle premier à l’élève ou au disciple. Sinon il risque de considérer la connaissance comme une marchandise et de procéder comme le font ceux qui gavent les canards et les oies en vue de préparer le foie gras.

Le temps décisif de la question

Le processus du développement de la connaissance offre une place essentielle à  la question ; la question est la traduction du  non savoir et du désir de connaître. Elle vient normalement de l’élève ou du disciple. Mais elle peut aussi émaner du maître pour aider l’apprenant à reconnaître son non savoir et à entrer, à son tour,  dans le jeu des questions - réponses. En fait si la question est au début de l’apprentissage, elle est aussi à son terme. Après un très bon repas, le cuisinier sait que le client reviendra s’il part avec une petite faim. De la même façon, l’enseignement ne peut produire tous ses fruits que si, en apportant des réponses, il ouvre aussi à de nouvelles questions. Le bon enseignement devrait apporter, en même temps, de la connaissance et de l’inconnaissance. Autrement dit il doit développer la prise de conscience du non savoir et donc renforcer le sujet dans son désir de connaître.

Raison et intuition

La connaissance est faite de raison et d’intuition. Par raison, il faut entendre la logique, c’est-à-dire la structure qui permet relations et interactions en vue d’atteindre l’universel. De la même façon qu’il y a un arbre de vie il existe aussi un arbre de la connaissance. Et, dans le récit de la chute de la Bible, Dieu met en garde Adam et Eve : ils ne doivent pas manger de l’arbre de la connaissance, c’est-à-dire  croire obtenir toute la connaissance en maîtrisant la rationalité ou en s’appuyant uniquement sur la logique. Ce serait sombrer dans la toute-puissance car si l’effort de maîtrise est bien nécessaire pour cheminer sur la route du savoir, il faut commencer par recevoir la connaissance de l’intuition. C’est ce qu’explique Socrate dans le mythe platonicien de l’invention de l’écriture. L’écriture, qui sert de mémoire extérieure, peut empêcher l’homme de se ressouvenir, c’est-à-dire de revenir à la source de la connaissance, à cette lumière première qu’est l’intuition, inscrite depuis toujours dans l’âme immortelle. En fait toute connaissance est une reconnaissance. Il n’est pas nécessaire d’endosser la théorie socratique de la réminiscence pour souligner l’importance essentielle de l’intuition. Il suffit de comprendre qu’elle est à la base de toute connaissance. Elle ne remplace pas l’expérimentation extérieure guidée par la rationalité, mais elle lui assure sa fécondité. Il est désormais facile de comprendre qu’à travers l’intuition, qui renvoie à l’origine, il y a non seulement fabrication de connaissance mais aussi construction d’un sujet.

L’inflation de l’écriture et du numérique valorise la raison aux dépens de l’intuition

Avec l’inflation de l’écriture, à travers le numérique, c’est aussi la rationalité qui prend une importance démesurée. L’écriture et le numérique finissent par mettre en valeur la structure ou la logique au détriment du souffle de l’intuition, au lieu d’être à son service. Des déséquilibres se produisent au point de provoquer une sorte de cancer de la raison elle-même. Privée de l’oxygène de l’intuition, elle  court le risque de l’asphyxie et le sujet lui-même est en péril.

Un jeu nécessaire entre l’écriture et la parole pour débloquer le sujet

Le problème qui se pose aujourd’hui n’est pas seulement lié au surgissement du numérique. Sans doute est-il amplifié par un tel phénomène mais il est présent dès le début de l’histoire humaine. Rapidement la création tout entière a été considérée comme un grand livre qu’il fallait déchiffrer pour assurer la survie de l’humanité. Le développement de la science est une réponse à une telle exigence. Et, pour l’apocalypse, le Christ, appelé le lion de Judas, apporte le salut, en levant les scellés qui empêchent la lecture du « livre ». L’écriture apparaît donc comme une sorte d’artifice qui met obstacle à la lecture et cache le sens pour assurer la survie du « secret lumineux ». La lumière qu’elle porte est trop fragile et trop précieuse pour la livrer sans de minutieuses précautions. Par conséquent il est indispensable de transgresser l’interdit qu’elle véhicule en osant l’interprétation.  Dans l’Islam, un des grands problèmes actuels est lié, pour de nombreux fidèles, à la confusion entre le Coran et la Parole de Dieu. Or le Coran est tout simplement un Grand Livre qu’il faut oser transformer constamment en parole par un travail rigoureux et répété d’interprétation.

D’une manière plus générale, le développement du numérique nous oblige à sortir de l’impasse en faisant jouer entre elles l’écriture et la parole pour rétablir le jeu entre la raison (plus proche de l’écriture) et l’intuition (plus proche de la parole) et donner sa véritable place au sujet. Aussi le rôle du maître ou de l’enseignant est-il appelé à changer de nature. Il ne s’agit plus essentiellement, pour lui, de transmettre la connaissance puisque le numérique le fait abondamment, mais de jouer un rôle de tiers en aidant à faire surgir le sens de l’écriture pour donner naissance à la parole. Il lui appartient aussi alors d’apporter les indispensables outils méthodologiques, qui contribuent à une plus grande autonomie de l’étudiant, livré à lui-même.

Apprendre, c’est finalement apprendre à penser par soi-même tout en développant le dialogue

Il reste encore une étape à franchir. Il importe que le disciple devienne maître à son tour, en jouant le rôle de tiers qui consiste à faire surgir le sens de l’écriture, non seulement pour les autres mais aussi pour soi-même. Dans ce cas, l’écriture dont il s’agit n’est pas seulement celle qui est inscrite dans des textes, mais aussi celle qui est présente dans le grand livre des événements du monde. Avec internet, avec la multiplication de l’information, nous sommes sans arrêt sollicités par l’idéologie, qui voudrait penser à notre place. La plupart du temps, nous croyons penser alors que nous pensons par les autres. C’est d’abord cela l’idéologie. Nous risquons alors les plus tragiques dérives, comme tous ceux qui récemment furent victimes du nazisme, d’un certain communisme, des idéologues religieux et des légitimistes de toute nature. Penser par soi-même, c’est combattre pour que le chemin et l’horizon de toute connaissance soient aussi ceux de la vérité. Or comme il y a un interdit porté par l’écriture, qui pèse sur l’interprétation, il existe un autre interdit qui pèse sur la pensée elle-même. En fait,  il n’est possible de penser par soi-même qu’à partir du moment où nous osons transgresser l’interdit de penser. A condition de maintenir et développer le dialogue…

Il est donc urgent de revenir à la maïeutique de Socrate, qui ne vise pas à produire de la connaissance mais à accoucher de sujets qui pensent par eux-mêmes.

Etienne Duval

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commentaires

M
http://www.gabrielringlet.be/ <br /> un livre de Gabriel Ringuet qui vient de sortir:<br /> <br /> "Vous me coucherez nu sur la terre nue." <br /> dixit François d'Assise<br /> et titre de l’œuvre.
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E
Je complète ta présentation : " À l'approche de la mort, François d'Assise confiait à ses compagnons son souhait de reposer un moment « nu sur la terre nue ». C'est le sens de ce dévêtement ultime qu'explore ici Gabriel Ringlet, pour apporter un éclairage nouveau, sur la fin de vie et son accompagnement.<br /> À partir de témoignages bouleversants, dont certains lui sont parvenus après le succès de son livre Ceci est ton corps, l'écrivain et théologien prend le parti de l'infinie douceur pour offrir un viatique qui trouve sens pour chacun.<br /> Il témoigne également de son expérience dans un centre de soins palliatifs en Belgique - où la loi autorise pour certains cas l'euthanasie - et donne alors toute sa place à l'écoute et au rituel pour les personnes qui en font la demande. Les mots justes s'allient aux gestes simples pour cet adieu si singulier.<br /> Une méditation sublime sur la nudité de l'absence, une célébration de la vie.
V
Félicitation pour votre site! Vraiment, il est génial et comme j'ai vu dans les premiers posts c'est vrai que partages et interface du site sont vraiment une aubaine pour bosser le style. Vraiment un grand merci !
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J
Bonsoir Etienne, je reprends l'ordi après une absence de plusieurs jours et je viens de lire ton mail que je trouve très intéressant; je vais le transmettre à mes petits enfants qui sont prisonniers, me semble-t-il souvent, d'Internet.
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E
Merci Jean de tes encouragements !
C
"Penser par soi-même", c'est vrai de l'acteur - plutôt que "sujet" - au théâtre : si l'acteur n'est pas auteur, il n'est qu'un valet portant le texte des autres. Etienne Decroux qui a formé des générations de mimes - Jean-Louis Barrault, Marcel Marceau, Raymond Devos - disait de l'acteur que "c'est un pou qui se nourrit sur la tête de l'auteur" ; tels modestement nos commentaires, donc... à ne pas épouiller de ce texte fort suggestif.
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E
J'aime bien ta distinction entre l'acteur et l'auteur. Ce que j'essaie de défendre c'est précisément que l'acteur devienne auteur. Mais je vois que j'ai, ici, en partie échoué, puisque le commentateur n'arrive pas à accéder à la position d'auteur, auteur, au moins de sa propre pensée. L'intérêt du blog, c'est que la pensée et les penseurs se démultiplient. Rassure-moi !.
M
en écho:<br /> <br /> http://www.franceculture.fr/emission-science-publique-club-science-publique-que-peut-le-corps-exploiter-son-intuition-2012-02-17
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E
Merci Marie-Claude ! Je relève, dans ton morceau choisi de France-Culture, deux citations importantes.<br /> C’est Einstein et son art de la formule qui éclaire le sujet : « Le mental intuitif est un don sacré et le mental rationnel est un serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le don ». <br /> Pierre Joliot, précise le rôle de l’intuition d’une façon qui reste d’actualité : « L’ordinateur ne peut que restituer, sous une forme plus ou moins élaborée, les concepts que le chercheur y a introduit. Il est incapable de faire preuve d’intuition, démarche subtile et encore mal comprise qui seule peut conduire à la découverte »,
Y
A propos de l'intuition, je voulais livrer cet extrait relevé récemment dans "l'Homme et son ombre" de Nietzsche :<br /> "On entend, on ne cherche pas, on prend, on ne se demande pas qui donne, tel un éclair la pensée jaillit soudain avec une nécessité absolue. Les choses elles mêmes viennent à nous, errer c'est se mettre dans cette disposition hospitalière de l'esprit qui donnent aux choses la liberté de venir jusqu'à nous; c'est conjurer cette modalité vorace du rapport au monde qui à force de vouloir s'approprier le réel finit par retenir dans ses doigts que des fruits secs. Il faut errer et s'oublier soi-même pour se rendre vigilant et attentif aux intuitions qui nous viennent.
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E
Superbe ! Je souscris totalement à ce que dit Nietzche sur l'intuition et la volonté d'appropriation du réel. Merci, Yves, d'avoir épinglé ce passage.
G
Je n'ai qu'une expérience très courte et un peu ancienne de quelques universitaires (brestois pour la plupart -en dehors de mes maîtres rennais). Fort estimables, certes, mais en effet, quelques uns raisonnablement prudents.<br /> Au risque (mais je ne suis pas universitaire) de tomber dans le travers que tu dis, je te signale sur cette question : de Gérard NOIRIEL, Dire la vérité au pouvoir, Les intellectuels en question, Fayard 2105, Agone, 2010. Assez féroce.<br /> <br /> Au risque d'être excessivement coriace, je reste avec ce problème, que je ne sais comment "penser" : à quel Absolu est-il raisonnable de croire, et comment préserver le savoir - ce que l'on sait- de ce que l'on croit ; de préserver la vie sociale commune des croyances diverses - soit : distinguer le (?) politique du théologique. Et ce n'est pas, tu le sais aussi bien et mieux que moi, un problème seulement théorique. Je "pense" que la laïcité, nécessaire, précieuse n'apporte, dans sa forme historique actuelle et par rapport aux situations historiques qu'on sait, qu'une réponse insuffisante, superficielle, fragile.<br /> <br /> Je m'en vais y réfléchir, l'oeil sur mes plaques, les mains dans l'encre, en faisant tourner la presse et le pensoir comme disait Sébastien.<br /> A plus tard<br /> Gérard
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E
C'est un problème auquel je dois souvent faire face au café philosophique. J'en reste à la reconnaissance de ce que je ne sais pas. Il y a du non savoir dont je ne rends pas compte et il faut l'admettre au risque sombrer dans la toute-puissance. Il y a plus précisément le mystère de l'origine qui dépasse la science elle-même et ce mystère il faut que je le respecte.
G
Cher Etienne, <br /> <br /> Je suis bien d'accord que le premier effort pour penser est de « (se) séparer de la pensée commune ». Et tu as bien raison, sans doute, de noter que l'Université, parmi d'autres institutions, contribue à la « pensée commune », tout en proposant des règles, des méthodes, une pratique de la langue qui protègent des délires et produisent des connaissances assez sûres... pour être discutées. <br /> L'autre difficulté serait , après avoir « inclus l’autre dans le soi-même »,de« créer l’espace de séparation avec autrui ».Je trouve plus simple de laisser l'autre comme autre, à côté ou en face, ce qui n'empêche pas la sympathie, voire l'empathie, propices à la discussion, surtout s'il y a un questionnement commun... et assez de divergences. <br /> J'en relève une : je veux bien me penser comme un « sujet » « dès (ma) naissance », mais potentiel, et qui survient par hasard dans l'histoire, qui s'en saisit, et dans laquelle (oserai-je :« par » laquelle ?) il se constitue peu à peu. Mais je ne vois pas la raison de me prétendre, même au bout de 73 années, « transcendant » - ou alors une transcendance très relative, provisoire, et fort horizontale : pas de quoi « défendre l’existence de l’âme » (mais je ne suis pas Socrate).<br /> Et on peut toujours croire et, par là, espérer. Rien de plus. <br /> <br /> <br /> A la prochaine.<br /> Gérard
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E
Merci pour tes réactions.<br /> <br /> Je suis bien d'accord qu'il faut éviter les délires. Cela l'Université le fait assez bien. Mais il n'en reste pas moins qu'elle conduit souvent à penser par références et par auteurs interposés.Un professeur d'Université avec qui je mangeais la semaine dernière était d'accord avec moi sur ce point. Pour y pallier il faudrait développer la dimension recherche rapidement pour chaque étudiant, comme le fait l'Ecole pratique des Hautes Etudes.<br /> <br /> Se séparer de l'autre, cela signifie mettre de la distance pour que l'autre ait bien sa place d'autre.<br /> <br /> Je maintiens qu'il y a une transcendance du sujet, mais transcendance relative comme tu le dis.<br /> <br /> Finalement tu es un sujet assez coriace !!!<br /> <br /> A bientôt !
M
Merci Gérard Jaffredou. Quelle lumineuse réponse et écho à mes petit questionnements, ceux que je posais ici -suite au sujet initié par Etienne Duval-<br /> dont celle du rapport "penser par soi-même/connaissance/réel" avec dialogue et/ou"polylogue".
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G
Cher Etienne, une fois encore, voici un sujet bien intéressant. Je m'étais posé -non sans prétention – il y a cinquante ans, à La Tourette, ce sujet de « circulus » : « La connaissance est-elle un moyen d'intégration au réel ? » . Bien entendu, je n'en étais pas venu à bout, ni encore maintenant. Merci pour cette relance. <br /> Je sors à peine de quelques lectures : Yvon Quiniou, « Critique de la religion, une impostuire intellectuelle, morale, politique », après un Jerphagnon et un retour à Paul Veyne, de bonne compagnie après l'agréable mais décevant « Royaume », de Carrère. <br /> <br /> Tout d'abord, j'estime que la formule « Penser par soi-même » est trompeuse. On ne pense, en réalité, que par autrui, avec ou contre ou malgré autrui, à partir de situations, de questions ou affirmations rencontrées, à l'aide du langage, de concepts etc., qui sont des données. Aucune « pensée » ne me vient de moi-même, seulement une combinaison qui peut m'être « personnelle » relativement . <br /> <br /> La « pensée » n'existe que par cette confrontation sur des connaissances et des jugements, qui la constituent . Pour cela il faut des concepts, au contenu et aux limites définis ou définissables. La pensée est cette confrontation même ; elle aboutit à une connaissance provisoire et limitée, donc discutable, et on avance.<br /> Mais au delà ou autour, que trouve t-on ? <br /> 1- L'intuition fait partie de la connaissance. C'est, peut-on dire, le résultat de connaissances qui mijotent et se connectent plus ou moins consciemment, et forment des hypothèses à vérifier...<br /> 2- L'idéologie, quant à elle (elle est souvent « l'idéologie » de l'autre), est plutôt un mariage entre la croyance -parfois l'illusion - et la connaissance, ; elle est parfois une interprétation très incertaine de connaissances incomplètes voire erronées, mais elle est mise en œuvre faute de mieux, car il faut bien vivre, décider sans tout savoir et tout connaître. <br /> 3- La croyance, qui complète illusoirement les connaissances ou se substitue à elles, nourrit l'idéologie. Or la discussion des croyances n'est pas possible, parce que celles-ci ne sont pas rationnelles. Elles sont hors connaissance. On peut discuter sur l'habillage « raisonnable », verbal, qui en est fait car on peut en rendre compte ou vouloir les diffuser, voire les imposer ! A condition de distinguer soigneusement ce que l'on sait et ce que l'on croit, en utilisant des concepts précis. <br /> <br /> C'est à ces conditions que l'on peut penser. (ce qui n'est pas croire, et encore moins mélanger les deux opérations). C'est à cette condition que le « sujet », qui n'est a priori qu'une vue de l'esprit, existe, parce qu'il est, par la discussion, confronté à autrui, à l'autre, aux pensées autres, aux situations concrètes, c'est-à-dire à l'histoire, à toutes les finitudes -y compris celles de la connaissance, notamment la limite des siennes. En d'autres termes, il est ainsi dans l'humanité...bref, il est humain.<br /> Apprendre, c'est d'abord cela : acquérir des connaissances sûres, vérifiables, amendables ; repérer ce qui est croyance seulement ; refuser toute confusion. On ne peut le faire « par soi-même ». Et on n 'a jamais fini. <br /> <br /> Pour aller jusqu'au bout. <br /> Le numérique donne accès à des connaissances multiples, exponentielles. Bien. Mais permet-il une confrontation à « l'autre » ? Les connaissances massives sont en grande partie d'origine anonyme, peu contrôlables parfois. Elles s'imposent, de plus, par la pseudo-autorité de la technologie. Et discute-t-on avec le virtuel ? On devient soi-même quelque peu virtuel !<br /> Par ailleurs, nous sommes confrontés de plus en plus (pas de panique, quand même!) à des forces qui considèrent leurs croyances comme un Absolu qu'il doivent imposer par la force : « les hallucinés de l'arrière plan ». (On aurait pu croire que « l'occident chrétien » avait le privilège de ces folies, auxquelles il a renoncé, on le sait - ou : on peut le croire ?). C'est un bel exemple de mélange entre la croyance posée en Absolu et la raison (si on peut dire), qui devient ainsi toute puissante, exemple parfait de barbarie. Exemple aussi de la difficulté que nous avons de penser cette distinction, de nous y tenir, et de la faire prévaloir si on veut sauver, en ce moment, ce qui peut rester d'humanité. <br /> <br /> Gérard Jaffrédou.<br /> 22 . V. 2015
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E
Ce qui m’intéresse avec toi, c’est que nous sommes d’emblée dans un espace de jeu qui nous permet de penser sans peur de critiquer ou d’approuver. <br /> C’est vrai, l’expression « penser par soi-même » peut être ambiguë, car nous pensons toujours en relation avec les autres. Mais le « penser par soi-même » suppose précisément que nous sommes en dialogue avec autrui. L’autre est inclus dans le soi-même. Il fait partie de mon être soi. Je ne dirais pourtant pas que je pense toujours par autrui car je rentrerais dans une autre ambiguïté. Je suis l’acteur de ma propre pensée, je suis engagé personnellement dans mon acte de penser, ce qui n’est pas toujours le cas lorsque je fonctionne à l’idéologie. L’Université, d’ailleurs, n’échappe pas à un tel processus : elle apprend à penser par référence, par des auteurs interposés. C’est pour cela qu’il y a des modes auxquelles tous sont plus ou moins obligés de se conformer. Et je considère que c’est là une de ses grandes infirmités.<br /> Pour entrer dans le penser par soi-même, il faut que je commence par créer l’espace de séparation avec autrui, espace qui va devenir l’espace de jeu où la pensée est possible. Il faut encore et surtout que je transgresse l’interdit de penser par moi-même, c’est-à-dire l’interdit de me séparer de la pensée commune. <br /> Par ailleurs je suis d’accord avec toi lorsque tu dis que le sujet existe lorsqu’il est confronté à l’autre puisque cette confrontation fait partie de son être propre. Et pourtant le sujet n’est pas créé par cette confrontation. Il fait partie de moi dès ma naissance, mais il est en devenir, il ne peut pas échapper à l’historicité. C’est bien pour affirmer cette transcendance du sujet que Socrate lui-même va jusqu’à s’exposer à la mort pour défendre l’existence de l’âme.
M
A MARIE-CLAUDE CHRISTOPHE<br /> <br /> C'est bien parce qu'il y ,a des fous qui croient penser pour tout le monde qu'il faut opposer le penser par soi-même de chacun.
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E
LES FRONDEURS DANS LE PARTI SOCIALISTE<br /> <br /> Il me semble que les frondeurs, dans la mesure où ils n'ont pas été jusqu'à la scission, semblent avoir joué un rôle d'éveilleurs. Ce qu'il mettent en relief c'est une relative marginalisation, nécessaire pour jouer le rôle d'éveilleur. En revenant au monde de l'enseignement, le véritable éveilleur doit accepter de ne pas rester dans les clous de l'idéologie, plus ou moins imposée par l'Education Nationale. Il est amené, pour réussir, à accepter une marginalisation, au moins temporaire. Dans ce cas, la marge ouvre l'espace du penser vrai et de la création.
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E
FABRICE LUCHINI<br /> <br /> Je viens d'écouter Fabrice Luchini, dans la matinée de France-Inter. C'était, pour moi un très grand plaisir. Ce qui est frappant chez lui c'est cet éveil soudain, à la lecture d'un livre transmis à un coin de rue, éveil qui a fait d'un garçon coiffeur, un très grand acteur amoureux des mots. La notion d'éveil m'a renvoyé au thème actuel de ce blog. Pour apprendre à penser par soi-même, il faut un éveil et donc aussi un éveilleur comme Socrate lui-même. Nous sommes ainsi renvoyés au choix et à la formation des maîtres. Que faisons-nous pour qu'ils deviennent des éveilleurs ?
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P
CRITIQUER NAJAT VALLAUD-BELKACEM AU NOM DE L’EGALITE<br /> Le Monde.fr | 20.05.2015 à 15h41 • Mis à jour le 20.05.2015 à 16h23<br /> <br /> Pierre Albertini, professeur de première supérieure (Khâgne) au lycée Condorcet<br /> <br /> ……..<br /> Ce qui doit être au cœur de notre système scolaire, ce n’est pas l’enfant, c’est la rationalité. L’enseignement primaire et l’enseignement secondaire refondés doivent nourrir l’intelligence des enfants, pour qu’ils puissent être par la suite des adultes éclairés et responsables, des citoyens, des hommes et des femmes susceptibles de comprendre le monde (y compris le monde techno-scientifique) dans lequel ils seront appelés à vivre. Cette exigence passe par l’enseignement des disciplines constituées, les exercices, l’apprentissage du vocabulaire et des règles, la répétition, le travail solitaire, la lecture individuelle, et même parfois, pourquoi le nier ?, l’ennui.<br /> Pourquoi refusons-nous la réforme de Mme Vallaud-Belkacem ? Parce que nous trouvons contradictoire l’idée d’égalitarisme et celle d’autonomie accrue des établissements : 20 % du temps scolaire laissé à la discrétion des chefs d’établissement, c’est un premier pas vers de nouvelles inégalités. Parce que nous ne croyons pas aux bénéfices de la pluridisciplnarité telle qu’elle sera bientôt imposée par des réformateurs dont certains détestent la spécialisation disciplinaire des professeurs. La pluridisciplinarité est déjà largement pratiquée mais elle n’a de sens que lorsque chaque discipline est solidement fondée et lorsque le dialogue entre les disciplines est mûrement réfléchi.<br /> Autrement dit, convoquer un professeur d’histoire et un professeur d’espagnol pour faire écrire à une classe de 4e une lettre en espagnol à des horticulteurs kényans, ce n’est pas un progrès, c’est de la foutaise. Parce que nous pensons que la réforme est (comme bien souvent) un cache-misère et qu’elle va, sous couvert d’égalité, imposer la même pénurie à tout le monde (on le voit bien à propos des classes bilangues et des horaires d’allemand), ce qui renforcera l’enseignement privé (qui, comme toujours, interprétera les textes à sa façon et à son avantage, au nom du « caractère propre » et en vertu des pouvoirs exorbitants de ses chefs d’établissements). Parce que nous pensons aussi que le latin et le grec doivent continuer à être enseignés en tant que langues, la version et le thème donnant des habitudes d’exactitude et la maîtrise de la phrase complexe, si utiles pour penser, que ces langues éclairent le français, font entrer dans la longue durée, montrent aussi que des hommes ont pu être pleinement humains en dehors de tout monothéisme (il est vrai que l’étude du chinois et celle du japonais peuvent avoir les mêmes vertus mais nous avons sous la main plus de professeurs de lettres classiques que de professeurs de langues orientales).<br /> Parce que nous pensons enfin que d’autres voies sont possibles : une augmentation sensible des heures de français en 6e (la 2e langue en 5e, quand les élèves n’ont aucune maîtrise de la grammaire française, est pure poudre aux yeux), le doublement ou le triplement du salaire des professeurs enseignant dans les établissements les plus déshérités ce qui aurait la vertu de modifier l’image de l’enseignant aux yeux de ses élèves et d’attirer vers la carrière les meilleurs lycéens des classes populaires, que l’actuel système médiatique se contente d’orienter systématiquement vers Sciences Po, école qui contribue bien davantage à nos problèmes qu’à leur solution.<br /> <br /> http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/05/20/critiquer-najat-vallaud-belkacemau-nom-de-l-egalite_4637059_3232.html
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E
Il y a de bonnes choses dans cette critique : l'importance de certaines voies d'excellence, comme les classes bi-langues ou l'apprentissage du latin et du grec comme langues. Sans doute faut-il donner leurs chances à tous les enfants mais l'égalité ne doit pas s'opposer aux voies d'excellence. Il faut assurer l'excellence pour chacun. Cela pourtant n'est possible, non pas en mettant, au coeur du système scolaire la seule rationalité mais en y plaçant l'enfant sujet en devenir. Celui-ci doit se nourrir de rationalité sans doute mais aussi d'intuition, de la parole du maître et, en même temps, de la parole des enfants eux-mêmes...
M
Que de sujets Etienne! J'en étais encore à réfléchir sur ton précédent.<br /> Penser par soi-même n'est-ce pas d'abord avoir connaissance de la pensée des autres , voire de son apprentissage? Avant d'être maître de sa propre pensée ne faut-il pas avoir été élève?<br /> Et qu'est-ce que "La vérité?".... et quand est-on sur qu'elle colle à la réalité, laquelle?
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M
"Mais il ne s’agit pas d’être maître de sa propre pensée, ce qui enfermerait complètement l’individu sur son point de vue, mais d’être dans la pensée et plus encore dans la dynamique de la pensée…" Bien d'accord avec çà Etienne.<br /> Comme dans la dynamique de la pensée du dictateur dynamique? Quand sa pensée se pense avec un grand P?<br /> C'est bien pourquoi je posais la question à l'aune de résultats dans la réalité avec les pièges de l'urgence.
E
Tu fais bien de poser ces questions. C’est vrai que je commence par me fabriquer ma propre pensée à partir de la pensée des autres. C’est bien, pour cela, que j’ai, au départ, insisté sur le dialogue. Mais ce sur quoi j’ai voulu mettre l’accent c’est sur l’idée que le maître doit essayer d’accoucher de sujets qui pensent plus que de connaissances en elles-mêmes. Je le vois au café philosophique : ou l’on s’évertue à donner le sens d’un texte ou l’on respecte le cheminement de chacun pour arriver à l’interprétation. Les connaissances il faut les greffer sur l’arbre, c’est-à-dire sur un sujet qui a sa propre démarche.<br /> Par ailleurs, c’est vrai qu’il faut commencer par être élève avant d’être maître de sa propre pensée. Mais il ne s’agit pas d’être maître de sa propre pensée, ce qui enfermerait complètement l’individu sur son point de vue, mais d’être dans la pensée et plus encore dans la dynamique de la pensée…
F
Etienne, merci, à ce soir je n'ai pas de commentaire particulier sur le texte de réflexion du blog Apprendre à penser par soi-m^me....<br /> je me retrouve très bien dans ce que tu exprimes, en pensant à toute mon expérience et à mes questionnements pédagogiques sur l'apprentissage, sur l'écriture et sur le sens de tout ça... je vais signaler le texte à d'autres pédagogues encore en action... et situer cet apprentissage du penser par soi-m^me dans un dialogue et questionnement comporte une capacità à accepter des points du vue différents du mien, divergents, à rentrer dans le jeu de l'altérité et de la confrontation, ce qui laisse la porte ouverte au doute comme à la créativité, mais dans l'interaction... sortir de l'affirmation univoque (proche de la toute puissance) pour rester dans une dynamique de recherche, découverte continue, des autres, et avec les autres, par les livres, par l'écrit vivant..... <br /> à suivre...<br /> Francesco
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E
Merci à toi Francesco. Je me réjouis de voir que nous sommes très proches l'un de l'autre, sur ce type de réflexion. Il faut dire que, jusqu'ici nous avons eu des expériences convergentes.<br /> Bien amicalement.
G
L'article est maintenant référencé par google.
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O
Merci à Olivier pour sa référence sur son blog de blogs.<br /> <br /> Appuyez sur le titre.
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H
Bravo, mais attention, l’interdiction de manger du fruit de l’arbre de la connaissance est une injection de Dieu qui s’adresse à Adam seul, puisque Eve n’a pas encore été créée. Genèse 2, 15.
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E
Oui, Mais, Genèse 3,4, Eve reprend pour elle l'interdiction : " La femme dit au serpent : "Nous pouvons manger des fruits des arbres du jardin, mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n'en mangerez pas et vous n'y toucherez pas, sinon vous mourrez". Merci de ta fidélité à réagir !
D
idéologie n'est pas penser par les autres. Pourquoi penseraient-ils plus que moi ?<br /> Idéologie est penser inhumain sur un raisonnement faux :<br /> Barbara<br /> Celaren<br /> Darii<br /> Ferio
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E
"Penser par les autres", c'est effectivement un raccourci que je me permets de faire parce que j'ai beaucoup travaillé sur l'idéologie, dans une optique marxiste (L'idéologie allemande)<br /> avec la théorie de l'idéologie mise en forme par Althusser. Dans ce cas, l'idéologie est un discours construit à partir de ma situation socio-économique. Plus généralement c'est le discours que produit une société pour assurer son propre fonctionnement. C'est à partir de lui que se fabriquent tous les discours, en donnant à ses auteurs l'illusion de penser. Tu y fais allusion en parlant d'un "penser inhumain basé sur un raisonnement faux ".

  • : le blog mythesfondateurs par : Etienne
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  • : Mythes, articles à partir des mythes, réactions sur le site Mythes fondateurs http://mythesfondateurs.over-blog.com/ Le mythe et le conte sont la parole dans sa première gestation. C'est pourquoi, si la parole est malade, comme le dit Vittorio Gasman, il devient urgent de revenir à ses fondements qui sont encore à notre disposition, à travers les mythes et les contes. Lorsque la parole ne fonctionne pas, c'est la violence qui gagne. Les mythes et les contes, par l'apprentissage du processus symbolique qu'ils proposent, sont là pour nous aider à faire sortir la parole de la violence. C'est de la naissance de l'homme lui-même dont il s'agit.
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