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Dans le passage de la commune à un gouvernement mondial, penser à mettre en marche les moteurs du développement
Dans le dernier article du blog, nous avons évoqué la régionalisation. Nous étions dans cet immense mouvement qui vise à structurer le développement, allant de la commune jusqu’à la création d’un gouvernement mondial. C’est une sorte d’organisme vivant à la dimension du monde, qui est en train de se constituer. Or, dans tout organisme vivant, il y a des organes comme le cœur ou les poumons qui rythment la vie à travers les systoles et diastoles, l’inspiration et l’expiration et donnent ainsi naissance à des lieux de surgissement de la vie que nous appelons espaces intermédiaires. Les espaces intermédiaires sont des entre-deux, des lieux de respiration et d’énergie, des dynamiseurs de vie qui permettent la création. Constamment ils oscillent entre autonomisation et interactions pour donner naissance à des sujets à part entière. Dans un quartier, le café et le marché sont de bons espaces intermédiaires entre l’intérieur et l’extérieur pour développer la parole et les relations. Dans les rapports entre les humains, le manque est aussi un espace intermédiaire essentiel pour susciter le désir, à la racine de l’amour. Et, au sein même de l’existence quotidienne, se glisse un entre-deux, entre la vie et la mort, dans lequel la mort elle-même vient féconder la vie.
Chacun aura compris que l’espace intermédiaire ou l’entre-deux sont les moteurs de la vie et qu’ils doivent être présents dans la grande construction entre le local et le global, qui va de la commune au gouvernement mondial. Or ces moteurs du développement n’ont de sens que s’ils sont mis en marche.
La région comme espace intermédiaire entre les communes et la nation
Avec la centralisation qui imprègne, en France, le fonctionnement de nos institutions, nous avons tendance à penser que le même modèle doit structurer tous les étages de la grande construction qui se met en place entre le local et le global. C’est ainsi que la commune et la région essaient souvent de fonctionner comme l’Etat lui-même et qu’elles en viennent à contrarier le développement de la vie et de la création. Or, si l’on met de côté le département qui va perdre de son opportunité et de son efficacité au cours des années qui viennent, les communes, la région et l’Etat constituent un ensemble différencié, où chaque constituant occupe une place originale et joue un rôle différent à son niveau. La commune rassemble, à la base, les individus d’un même secteur à l’intérieur d’une structure communautaire où doivent se faire, comme dans une famille, les apprentissages élémentaires. Elle nous renvoie à l’origine de la vie sociale et constitue le lieu idéal pour forger les responsabilités, développer les relations et poser les fondements de la démocratie. De son côté, l’Etat semble avoir pour fonction de constituer une société plus universelle animée par de grands projets à moyen et à long terme. Entre les deux, le rôle de la région consiste à articuler l’individualisation qui s’opère d’abord au niveau de la commune et la socialisation qui ouvre à plus d’universel. En ce sens, elle devrait avoir un rôle de dynamisation pour le développement économique et culturel. Mais si ce rôle n’est pas pensé avec intelligence et précision, les moteurs qu’elle devrait mettre en marche resteront à l’arrêt et la bureaucratie viendra contrarier le surgissement de la vie et de la création.
La dimension culturelle des régions oubliée
Pour la région, la culture devrait revêtir la même importance que l’économie. Or, dans la réforme qui est en cours, seule l’économie semble présider aux nouveaux regroupements qui permettront de passer de 22 à 13 régions métropolitaines. C’est oublier que la culture constitue, comme l’économie, un pôle d’énergie essentiel. C’est aussi contrarier la dynamique que devrait développer l’interaction entre les deux énergies. Sans doute la Bretagne et la Corse conservent-elles leur identité culturelle. Mais la Bretagne se trouve amputée de cette autre partie que constitue le département de Loire atlantique. Par ailleurs l’Alsace, pourtant bien différenciée, est condamnée à fonctionner non seulement avec la Lorraine, qui est relativement proche, mais encore avec Champagne-Ardenne, qui vient introduire de la confusion. De même l’Aquitaine, qui s’est forgé une identité forte à travers l’histoire, se voit contrainte d’accepter la compagnie du Limousin et de Poitou-Charentes. Il faut pourtant reconnaître que le regroupement entre la Haute-Normandie et la Basse-Normandie apparaît particulièrement judicieux.
L’Europe, nouvel espace intermédiaire au niveau international
Avec l’Europe nous nous hissons à un niveau supérieur. Il s’agit d’organiser un nouveau relais dans la perspective de la mondialisation. Contrairement aux régions proposées, la dimension culturelle de l’Europe est bien établie depuis de nombreux siècles. Mais la bureaucratie qu’elle engendre semble montrer que sa vocation d’espace intermédiaire entre les nations et une gouvernance mondiale, encore à inventer, n’a été ni bien comprise ni bien assumée. A la place de la dynamique recherchée, sa présence et son action sont souvent ressenties comme une nouvelle pesanteur parfois insupportable et plus précisément comme un frein au développement économique des nations. Il apparaît de plus en plus que les bons moteurs n’ont pas été mis en marche. Il fallait un dynamiseur et c’est une superstructure qui s’est mise en place. L’Europe tend à s’organiser comme un super-Etat. Sans doute d’autres orientations peuvent-elles être prises pour lui permettre de retrouver sa vocation. En tout cas, il semble nécessaire de se réinterroger sur l’euro. Le système d’une monnaie unique manque de souplesse ; les équilibres indispensables ne sont pas respectés. Faut-il donner une place aux monnaies nationales peut-être trop vite abandonnées ? Une dynamique pourrait ainsi se développer entre les deux systèmes de monnaie et permettre un meilleur développement dans chacune des nations. Mais un grand nombre d’économistes paraissent réticents face à une telle solution. Et pourtant de nombreux essais de monnaie locale s’improvisent en de multiples endroits. Il existe 2500 systèmes de monnaie locale dans le monde. En France, nous avons l’eusko dans le pays basque, Sol violette à Toulouse, l’abeille à Villeneuve-sur-Lot. Sans doute s’agit-il d’un symptôme qu’il faudrait analyser. En tout cas, l’avantage de la monnaie locale consiste à relocaliser l’économie, ce qui semble une exigence fondamentale pour les pays européens.
La nation, transformée en communauté, à la recherche de son identité culturelle
Avec le développement de l’Europe, la nation en vient à occuper une nouvelle place ; elle est renvoyée à sa dimension communautaire et à son identité culturelle. C’est comme si elle avait besoin de revenir à ses racines pour être à même de se confronter avec les autres nations et leur apporter ce qu’elle peut avoir de plus original. Ce que certains considèrent comme un repli communautaire et une sorte de fermeture dans la prétendue recherche d’identité est sans doute un moment indispensable. Mais il appartient à l’Europe de pousser, en même temps, à une plus grande ouverture non seulement face aux autres nations qui la composent mais aussi face à ceux qui viennent de pays extérieurs, pour satisfaire à la dynamique du jeu entre l’autonomisation et l’accès à une sorte d’universel planétaire.
Un nouveau couple sur-dynamiseur : régions/Europe
Un nouveau rapprochement, en partie inattendu, est en train de s’opérer entre les régions et l’Europe. Ces deux espaces intermédiaires, qui sont, en même temps, appelés à être les moteurs du développement économique et culturel, ont besoin de s’accorder et de se confronter pour donner leur pleine mesure. C’est ainsi que, progressivement, nous allons voir les régions françaises passer par-dessus les Etats nationaux, pour organiser de nouvelles complicités, de nouvelles complémentarités, avec des régions allemandes, espagnoles, italiennes ou autres. Elles développeront ainsi des interactions fructueuses et peut-être aussi des conflits momentanés, qui devront être dépassés. Finalement ce sont non seulement les régions en tant que telles, mais ce sont aussi les communes elles-mêmes, villes et villages, qui entreront de plus en plus, dans le jeu d’une confrontation créatrice.
Un élargissement du sujet avec la mondialisation
Au cœur de tous ces échanges et interactions, c’est en dernière instance le sujet qui est concerné. Il se constitue dans la tension entre un mouvement d’individualisation et un mouvement de socialisation à l’échelle planétaire. Plus il s’élargit et plus il est amené à s’intérioriser. Sa constitution devient une exigence politique.
Etienne Duval