Le paradis de Bruegel
L’arbre, au cœur du mystère de la vie et figure de l’homme
Il y a très peu de temps, j’étais à La Tourette, où se trouve un couvent construit par Le Corbusier. Au cours d’un repas, assis au réfectoire près de Christophe Boureux, frère dominicain, théologien et gestionnaire de la grande forêt locale, je l’ai écouté nous parler de l’arbre, de sa vie et de son mystère. J’étais littéralement fasciné, n’imaginant pas que cet être si familier, que nous côtoyons chaque jour, et présent sur la terre depuis plus de 300 millions d’années, pouvait nous livrer tant de secrets sur la création et sur l’homme lui-même. Aussi, après avoir évoqué la mort, j’ai décidé de consacrer un article de ce blog à la vie, en laissant l’arbre nous parler de lui-même.
Un arbre qui évoque le paradis
Nous dominant de sa stature et pouvant atteindre jusqu’à 50 mètres de hauteur, l’arbre est, à tout moment, en pleine effervescence ; il fabrique la vie à partir des éléments qui l’entourent. En même temps il améliore la qualité de l’eau qui ruisselle à ses côtés et rafraîchit l’air ambiant. La douceur de son ombre attire les promeneurs fatigués et les animaux qui s’accordent le temps de la digestion. Parfois même, il devient l’arbre de la parole, imposant à chacun de ses hôtes un peu plus de bienveillance pour arrondir les angles dans une discussion difficile. Très souvent, les oiseaux, les insectes et les petits animaux construisent sur ses branches leur propre habitat. Dans les villages, dans les villes, près des maisons et dans les champs eux-mêmes, il est l’ornement principal du paysage. Bien plus, il peut devenir notre père nourricier en nous offrant ses fruits, pommes, poires, cerises, noix, figues, prunes… et s’adaptant à tous les goûts. Il va même jusqu’à sacrifier son bois pour notre chauffage et notre ameublement. Certains ajoutent qu’il sait se faire médecin pour guérir nos maux. C’est ainsi qu’il donne naissance à de nombreux médicaments, depuis l’aspirine jusqu’à certains produits efficaces pour le traitement du cancer.
Ebauche de l’homme, il relie la terre et le ciel
Dans la Bible, dès le début de la Genèse, l’arbre est le compagnon principal de l’homme. Au milieu du jardin, il est majestueux et se présente comme l’arbre de Vie et l’image de tout ce qui est vivant sur terre. Dieu, pourtant, met en garde Adam et Eve : ils ne doivent toucher ni à l’arbre ni à ses fruits. Qu’est-ce à dire ? L’arbre et ses fruits ne sont-ils pas faits pour l’homme et les autres vivants ? Sans doute, mais il faut mettre de la distance pour éviter la toute-puissance. L’homme n’est pas le maître de la création : il doit la respecter et être à son service. Chacun peut voir que l’idée même de Dieu naît de la distance que l’être humain doit mettre entre lui et la Vie ; la Vie le précède et il ne peut en être le propriétaire. Il y a quelque chose qui le dépasse, quelque chose qu’il doit protéger. Dès l’origine, l’homme est présenté comme un être divin, le serviteur, le fils, mais il n’est pas Dieu (au sens fort du terme). Ce n’est pas lui qui est à l’origine de la Vie : il en est le simple dépositaire. Il acquiert pourtant, de ce fait, un statut exceptionnel : comme l’arbre, il est dans l’entre-deux, il relie la terre et le ciel.
Il fabrique de la vie avec la mort
Un conte indien nous dit que l’arbre de vie a deux branches : l’une porte la vie et l’autre porte la mort. Si, par mégarde, l’homme s’avisait de rejeter la branche qui porte la mort, ce serait la vie elle-même qui serait détruite. Assez paradoxalement la mort féconde la vie et c’est ainsi que l’on voit l’arbre fabriquer de la vie avec la mort. L’homme a tendance à considérer le gaz carbonique comme un déchet néfaste à la vie. De son côté, l’arbre, par le phénomène de la photosynthèse, sépare le carbone et l’oxygène pour en faire des composantes de la vie elle-même. Mais plus fondamentalement encore il utilise le squelette de cellules mortes, aux parois épaissies par de la lignine, pour construire le conduit de la sève brute, dont nous allons parler.
Le sang de l’arbre
Il appartient à l’arbre de fabriquer le sang qui lui permettra de vivre et de survivre. Ce sang, les hommes lui ont donné le nom de sève. Pour fabriquer la sève, l’arbre a besoin de carbone : le carbone est fourni par le gaz carbonique (CO2) contenu dans l’atmosphère. Il a aussi besoin d’oxygène : il la trouve, en même temps, dans le gaz carbonique et dans l’eau. Il lui faut enfin de nombreux sels minéraux qu’il va puiser dans le sol par ses racines : hydrogène, azote, soufre, phosphore, calcium, magnésium et potassium, qui sont dissous dans l’eau sous forme d’ions. Ces différents éléments, qui constituent avec l’eau la sève brute, sont conduits par un premier réseau de distribution jusqu’aux feuilles ; grâce à la photosynthèse, ils se transformeront en sève élaborée, formée principalement de glucides. Un second réseau transportera ce liquide pour nourrir toutes les cellules de l’arbre.
La sève prend son temps ; elle circule plus lentement que le sang des animaux. Ainsi, la vitesse de circulation de la sève brute est de 1 à 6 mètres à l’heure, celle de la sève élaborée est de 10 à 100 centimètres à l’heure.
L’arbre est un travailleur acharné
Chaque jour, l’arbre doit travailler pour faire monter l’eau et les sels minéraux jusqu’aux feuilles. Imaginons simplement un chêne adulte. Il doit, en une seule journée, transporter en hauteur, par ses canaux, jusqu’à trente mètres et plus, environ 200 litres d’eau. Pour une forêt d’un seul hectare, ce sont 3000 à 5000 tonnes d’eau, qu’il faudra hisser, chaque année, jusqu’au sommet des arbres.
Il transpire abondamment
Une fois que l’eau a livré sa nourriture sous forme d’ions, elle devient inutile. Alertées, les feuilles vont alors se mettre à transpirer, rejetant alors par leurs stomates, ce dont l’arbre n’a plus besoin. De son côté, le soleil, qui agit par son rayonnement, fait passer cette eau de l’état liquide à l’état gazeux, favorisant ainsi la création de nuages ; ils déverseront, à nouveau, sur la terre, l’eau nécessaire aux plantes et aux animaux. Ainsi, on peut évaluer à 3000 tonnes, le volume d’eau, qu’une forêt d’un hectare, restituera annuellement à l’atmosphère grâce à la transpiration foliaire.
Son cœur n’est autre que le soleil lui-même
Pour réaliser son travail en faisant cheminer la sève brute et la sève élaborée, l’arbre ne dispose pas d’un moteur interne comme peut l’être le cœur des animaux. Plus simplement son cœur est le soleil lui-même. Il a, à son service, le moteur du ciel et de la terre (dans notre espace), qui fonctionne comme une gigantesque centrale nucléaire, sans avoir les inconvénients de nos usines atomiques. Ainsi, arrimé au soleil, l’arbre vit au rythme de l’univers.
L’énigme de « l’arbre de vie » au milieu du désert
Au Bahreïn, en plein désert, vit un arbre mystérieux, vieux de 400 ans et mesurant environ 10 mètres de haut. Il est à 2 kilomètres de Jebel Dukhan, point le plus élevé du désert. Il n’y a, à plusieurs kilomètres, aucune source d’eau, qui pourrait expliquer sa présence. Les bédouins pensent que cet arbre a été béni par Enki, un dieu sumérien, associé à l’eau, et les habitants du Bahreïn croient avoir découvert le lieu du jardin d’Eden. Il est possible que les racines de « l’arbre de vie » descendent au plus profond de la terre pour s’alimenter à des sources d’eau encore inconnues. Mais jusqu’ici une telle hypothèse n’a pas été confirmée. Ce qui est sûr, c’est que cet arbre, comme tout arbre, porte en lui le mystère de la vie. Bien plus, le paradis est là où l’homme, se libérant de la toute-puissance, en vient à respecter et à servir la Vie elle-même.
Quelques références
Les livres de Francis Hallé : Eloge de la plante, Points Seuil, 1999 et Plaidoyer pour l’arbre, Actes Sud 2009.
L’article du professeur R. Raynal : « L’eau et la plante, comment faire circuler du « sang » sans cœur ? », juin 2003, http://www.exobiologie.info/articles/page7/page7.html
Sur « L’arbre du vie » du Bahreïn, http://www.maxisciences.com/arbre-de-vie/l-arbre-de-vie-du-bahrein-mystere-de-la-nature_art12618.html
De Jean Lamontagne, « Importance de nos arbres », http://arboquebec.com/importance
Etienne Duval
Image créée spécialement pour ce site par Flavian Dubourget (2014)
Quelle présence !