Au-delà de l’église catholique, la pédophilie concerne la société toute entière
Lorsqu’il s’agit de pédophilie, on aurait tort de braquer son regard uniquement sur l’église catholique. Un tel désordre concerne la société dans son ensemble. Dans le domaine du désir et de la violence, les comportements se règlent sur l'imitation de l’autre. Aussi ce qui se passe dans une partie du corps social renvoie-t-il à d’autres espaces : ceux de la famille, de l’éducation, de la religion dans son ensemble : certaines écoles musulmanes et le bouddhisme lui-même n’échappent pas à un tel phénomène.
Ce qui est reproché à l’église catholique est de l’ordre de l’inceste
Normalement les parents ne doivent pas simplement engendrer à la vie : ils doivent aussi engendrer à la parole, c'est-à-dire à la culture en ses origines. Aussi sont-ils amenés à dépasser le domaine du désir sexuel, à ne pas entrer dans le jeu mimétique de ce désir avec leurs propres enfants. Sinon ils fonctionnent dans l’inceste et risquent de compromettre tout le développement ultérieur des êtres qu’ils ont mis au monde.
Il en va de même pour tous ceux qui exercent une charge éducative et les membres de l’église en font partie au niveau spirituel. Les anciens disaient que la corruption est extrême, lorsque c’est le meilleur qui est concerné : « Corruptio optimi pessima ».
Sous peine de crime, l’enfant ne peut être l’objet du désir sexuel de l’adulte
L’enfant a son propre développement qui n’est pas celui de l’adulte et la sexualité en fait partie. Un respect absolu de ce développement est nécessaire pour permettre son individualisation. Dans le cas contraire, l’adulte fait de l’enfant une chose pour assouvir son propre désir et son propre plaisir. Il entre alors dans une démarche de possession, qui est la figure même du comportement attribué à celui qu’on appelle le diable. Autrement dit, l’inceste d’où qu’il vienne est une acte diabolique, c’est-à-dire complètement destructeur.
Le cas d’Emmanuelle
Il y a quelques années, j’ai reçu Emmanuelle, une jeune fille d’une vingtaine d’années. Elle voulait que je lui fasse une analyse graphologique. A la suite d’examens divers, j’avais réussi à m’inscrire à un syndicat professionnel dans cette discipline, ce qui me donnait une autorité dans une pratique, qui restait, pour moi, assez marginale.
Très rapidement, après avoir parcouru son écriture, je lui fais la remarque : « Vous avez été victime d’inceste ? » Elle est très surprise de ma perspicacité sans s’apercevoir qu’elle me l’a révélé inconsciemment dans la discussion.
De neuf à treize ans, elle a couché régulièrement avec son père, sans se rendre compte de la gravité d’une telle pratique. Puis la culpabilité s’est manifestée : elle a pensé qu’elle était à l’origine du comportement de son père, par un effet involontaire de séduction. Bloquée dans son développement, elle a dû faire appel à une psychothérapeute. Et, de fil en aiguille, Emmanuelle a acquis assez de force pour dénoncer son père à la justice. Il est en prison pour quelques années encore, mais elle redoute son comportement à la sortie. La culpabilité n’a pas disparu et la reconstruction est encore longue et difficile.
L’interdit de l’inceste est fondateur pour toute société
La société et l’individu ne peuvent se construire si l’inceste est présent et notamment s’il est accepté par une part significative du corps social. C’est ce qu’ont compris depuis longtemps les anciens qui ont pratiquement imposé l’interdit de l’inceste pour assurer une saine évolution de l’humanité. Sans cet interdit, il n’y a pas d’avenir pour la société dans son ensemble.
Un risque épidémique qu’il faut endiguer à tout prix
Partant de la famille pour aboutir dans tous les circuits éducatifs, l’inceste agit comme un virus. L’épidémie, d’abord latente, puis plus manifeste, pourrait, au bout d’un certain temps, devenir incontrôlable, si l’on n’y prend garde. Le mimétisme, qui agit en sourdine empêche la prise de conscience et diminue la culpabilité. Et, pendant ce temps, les victimes déconstruites dans leur parole elle-même, oscillent entre la culpabilité et la rage contre ceux qui ont abusé d’elles. C’est elles qu’il faut d’abord prendre en compte pour favoriser leur reconstruction tout en assumant les frais que suppose le recours à la justice et à la thérapie. Mais il est aussi indispensable de s’intéresser aux abuseurs pour qu’ils sortent de leur pratique destructrice.
La solution pour en sortir manifestée par le mythe du serpent d’airain
Dans l’épisode du serpent d’airain, il ne s’agit plus des dérives du désir mais de celles de la violence. Or il se trouve que la violence peut avoir aussi un caractère mimétique qui, dans certains cas, peut provoquer des situations incontrôlables. C’est ce qui s’est passé pour les Hébreux lorsqu’ils ont cheminé dans le désert, à leur sortie d’Egypte. Pendant de nombreux jours ils souffrirent de la faim et de la soif si bien que la confiance en Moïse finit par s’estomper et la violence souffla comme une tornade au point qu’ils finirent par s’entretuer. Le texte dit qu’ils étaient mordus par des serpents brûlants. Mais c’était là une figure pour indiquer qu’ils ne maîtrisaient plus la situation et qu’ils ne voyaient que la violence de l’autre sans se rendre compte qu’ils étaient aussi porteurs de cette force destructrice. Quelques personnes se mirent d’accord pour aller parler à Moïse : l’ensemble du peuple pouvait être décimé. Il s’agissait de vie et de mort. Moïse perçut tout de suite qu’il s’agissait d’un problème difficile à résoudre et s’adressa à Yahvé Lui-même.
Le Tout-Puissant lui dit de représenter la violence par un grand serpent d’airain qu’il placerait sur un étendard, disposé sur la montagne à la vue de tout le monde. Aussi lorsque quelqu’un serait enfermé dans une mutinerie, il regarderait le serpent et découvrirait sa propre violence et non seulement celle de l’autre. Il retrouverait ainsi sa maîtrise dans un combat dont il croyait être une simple victime et pourrait sortir de la violence mimétique, de tous contre tous, dans laquelle il s’était enfermé.
La décision de produire un grand rapport, minutieux et rigoureux, sur la pédophilie dans l’église, allait dans le bon sens
Le rapport Sauvé, même s’il consterne les responsables de l’église institutionnelle et les fidèles eux-mêmes, agit comme le serpent d’airain. Chacun se voit projeté en face d’une réalité qu’il ignorait, pour une part au moins, et peut ainsi dévoiler sa responsabilité face au drame qui s’impose à lui. Si les autorités se trouvent maintenant installés au pied du mur, le simple croyant découvre qu’il n’a opposé aucune résistance à ce qui s’est passé. Il va ainsi apprendre qu’on ne peut être croyant sans être un résistant.
Sans doute, tout reste à faire : l’aide à apporter aux victimes pour réparer en eux la parole détruite, une aide aussi bien financière que psychologique et spirituelle. Mais aussi la transformation des comportements dans l’église, à tous les niveaux. Et si les abuseurs doivent être dénoncés et punis par la justice, ils ont aussi droit à la miséricorde de l’institution, parce qu’ils sont aussi, pour une part au moins, des victimes d’une situation dont ils ne sont pas entièrement responsables.
La société, dans ses différentes strates, est aussi concernée par la démarche qui s’impose aujourd’hui à l’église catholique
Comme nous l’avons souligné dès le départ, ce sont tous les espaces de la société qui sont contaminés par le drame de la pédophilie : les familles d’abord, les autres religions, les différentes structures éducatives, qu’elles soient sportives, scolaires, médicales, spirituelles, le politique lui-même…. Aussi la société dans son ensemble et toutes les strates qui la composent sont-elles, aujourd’hui, interpellées pour faire leur propre ménage. Mais, en même temps, si l’église catholique arrive à mener une démarche exemplaire, en ce domaine, son travail rejaillira sur l’ensemble de la société.
Etienne Duval
Au-delà de l’église catholique, la pédophilie concerne la société toute entière
Lorsqu’il s’agit de pédophilie, on aurait tort de braquer son regard uniquement sur l’église catholique. Un tel désordre concerne la société dans son ensemble. Dans le domaine du désir et de la violence, les comportements se règlent sur l'imitation de l’autre. Aussi ce qui se passe dans une partie du corps social renvoie-t-il à d’autres espaces : ceux de la famille, de l’éducation, de la religion dans son ensemble : certaines écoles musulmanes et le bouddhisme lui-même n’échappent pas à un tel phénomène.
Ce qui est reproché à l’église catholique est de l’ordre de l’inceste
Normalement les parents ne doivent pas simplement engendrer à la vie : ils doivent aussi engendrer à la parole, c'est-à-dire à la culture en ses origines. Aussi sont-ils amenés à dépasser le domaine du désir sexuel, à ne pas entrer dans le jeu mimétique de ce désir avec leurs propres enfants. Sinon ils fonctionnent dans l’inceste et risquent de compromettre tout le développement ultérieur des êtres qu’ils ont mis au monde.
Il en va de même pour tous ceux qui exercent une charge éducative et les membres de l’église en font partie au niveau spirituel. Les anciens disaient que la corruption est extrême, lorsque c’est le meilleur qui est concerné : « Corruptio optimi pessima ».
Sous peine de crime, l’enfant ne peut être l’objet du désir sexuel de l’adulte
L’enfant a son propre développement qui n’est pas celui de l’adulte et la sexualité en fait partie. Un respect absolu de ce développement est nécessaire pour permettre son individualisation. Dans le cas contraire, l’adulte fait de l’enfant une chose pour assouvir son propre désir et son propre plaisir. Il entre alors dans une démarche de possession, qui est la figure même du comportement attribué à celui qu’on appelle le diable. Autrement dit, l’inceste d’où qu’il vienne est une acte diabolique, c’est-à-dire complètement destructeur.
Le cas d’Emmanuelle
Il y a quelques années, j’ai reçu Emmanuelle, une jeune fille d’une vingtaine d’années. Elle voulait que je lui fasse une analyse graphologique. A la suite d’examens divers, j’avais réussi à m’inscrire à un syndicat professionnel dans cette discipline, ce qui me donnait une autorité dans une pratique, qui restait, pour moi, assez marginale.
Très rapidement, après avoir parcouru son écriture, je lui fais la remarque : « Vous avez été victime d’inceste ? » Elle est très surprise de ma perspicacité sans s’apercevoir qu’elle me l’a révélé inconsciemment dans la discussion.
De neuf à treize ans, elle a couché régulièrement avec son père, sans se rendre compte de la gravité d’une telle pratique. Puis la culpabilité s’est manifestée : elle a pensé qu’elle était à l’origine du comportement de son père, par un effet involontaire de séduction. Bloquée dans son développement, elle a dû faire appel à une psychothérapeute. Et, de fil en aiguille, Emmanuelle a acquis assez de force pour dénoncer son père à la justice. Il est en prison pour quelques années encore, mais elle redoute son comportement à la sortie. La culpabilité n’a pas disparu et la reconstruction est encore longue et difficile.
L’interdit de l’inceste est fondateur pour toute société
La société et l’individu ne peuvent se construire si l’inceste est présent et notamment s’il est accepté par une part significative du corps social. C’est ce qu’ont compris depuis longtemps les anciens qui ont pratiquement imposé l’interdit de l’inceste pour assurer une saine évolution de l’humanité. Sans cet interdit, il n’y a pas d’avenir pour la société dans son ensemble.
Un risque épidémique qu’il faut endiguer à tout prix
Partant de la famille pour aboutir dans tous les circuits éducatifs, l’inceste agit comme un virus. L’épidémie, d’abord latente, puis plus manifeste, pourrait, au bout d’un certain temps, devenir incontrôlable, si l’on n’y prend garde. Le mimétisme, qui agit en sourdine empêche la prise de conscience et diminue la culpabilité. Et, pendant ce temps, les victimes déconstruites dans leur parole elle-même, oscillent entre la culpabilité et la rage contre ceux qui ont abusé d’elles. C’est elles qu’il faut d’abord prendre en compte pour favoriser leur reconstruction tout en assumant les frais que suppose le recours à la justice et à la thérapie. Mais il est aussi indispensable de s’intéresser aux abuseurs pour qu’ils sortent de leur pratique destructrice.
La solution pour en sortir manifestée par le mythe du serpent d’airain
Dans l’épisode du serpent d’airain, il ne s’agit plus des dérives du désir mais de celles de la violence. Or il se trouve que la violence peut avoir aussi un caractère mimétique qui, dans certains cas, peut provoquer des situations incontrôlables. C’est ce qui s’est passé pour les Hébreux lorsqu’ils ont cheminé dans le désert, à leur sortie d’Egypte. Pendant de nombreux jours ils souffrirent de la faim et de la soif si bien que la confiance en Moïse finit par s’estomper et la violence souffla comme une tornade au point qu’ils finirent par s’entretuer. Le texte dit qu’ils étaient mordus par des serpents brûlants. Mais c’était là une figure pour indiquer qu’ils ne maîtrisaient plus la situation et qu’ils ne voyaient que la violence de l’autre sans se rendre compte qu’ils étaient aussi porteurs de cette force destructrice. Quelques personnes se mirent d’accord pour aller parler à Moïse : l’ensemble du peuple pouvait être décimé. Il s’agissait de vie et de mort. Moïse perçut tout de suite qu’il s’agissait d’un problème difficile à résoudre et s’adressa à Yahvé Lui-même.
Le Tout-Puissant lui dit de représenter la violence par un grand serpent d’airain qu’il placerait sur un étendard, disposé sur la montagne à la vue de tout le monde. Aussi lorsque quelqu’un serait enfermé dans une mutinerie, il regarderait le serpent et découvrirait sa propre violence et non seulement celle de l’autre. Il retrouverait ainsi sa maîtrise dans un combat dont il croyait être une simple victime et pourrait sortir de la violence mimétique, de tous contre tous, dans laquelle il s’était enfermé.
La décision de produire un grand rapport, minutieux et rigoureux, sur la pédophilie dans l’église, allait dans le bon sens
Le rapport Sauvé, même s’il consterne les responsables de l’église institutionnelle et les fidèles eux-mêmes, agit comme le serpent d’airain. Chacun se voit projeté en face d’une réalité qu’il ignorait, pour une part au moins, et peut ainsi dévoiler sa responsabilité face au drame qui s’impose à lui. Si les autorités se trouvent maintenant installés au pied du mur, le simple croyant découvre qu’il n’a opposé aucune résistance à ce qui s’est passé. Il va ainsi apprendre qu’on ne peut être croyant sans être un résistant.
Sans doute, tout reste à faire : l’aide à apporter aux victimes pour réparer en eux la parole détruite, une aide aussi bien financière que psychologique et spirituelle. Mais aussi la transformation des comportements dans l’église, à tous les niveaux. Et si les abuseurs doivent être dénoncés et punis par la justice, ils ont aussi droit à la miséricorde de l’institution, parce qu’ils sont aussi, pour une part au moins, des victimes d’une situation dont ils ne sont pas entièrement responsables.
La société, dans ses différentes strates, est aussi concernée par la démarche qui s’impose aujourd’hui à l’église catholique
Comme nous l’avons souligné dès le départ, ce sont tous les espaces de la société qui sont contaminés par le drame de la pédophilie : les familles d’abord, les autres religions, les différentes structures éducatives, qu’elles soient sportives, scolaires, médicales, spirituelles, le politique lui-même…. Aussi la société dans son ensemble et toutes les strates qui la composent sont-elles, aujourd’hui, interpellées pour faire leur propre ménage. Mais, en même temps, si l’église catholique arrive à mener une démarche exemplaire, en ce domaine, son travail rejaillira sur l’ensemble de la société.
Etienne Duval