Les leçons de deux pigeons ramiers
Depuis toujours, j’aime le pigeon ramier, avec son air élancé, sa forte corpulence, la rapidité de son vol, sa couleur bleutée et son collier blanc qui lui donne une distinction inégalable et presque royale. Dans notre région, à l’orée de l’automne, il part avec ses congénères prendre ses quartiers d’hiver en Espagne où la température est plus clémente. Il lui faut alors affronter les périls des Pyrénées où l’attendent chasseurs et dresseurs de pièges. Mais il en sort plus aguerri et beaucoup retrouveront leurs nids la saison prochaine, sans entamer la fidélité de leur couple.
Le pigeon qui fait son nid avec du bois mort
Or, du 15 juillet au début août de cette année, j’ai assisté, de ma fenêtre qui donne sur une cour intérieure, à une scène très étrange. Il y a, à 15 mètres, un bouleau dont les branches supérieures ont séché. Or pendant 15 jours, un pigeon ramier est venu décortiquer toutes les petites branches sèches. Il en avait besoin pour faire son nid.
La mort est là pour protéger la vie en ses commencements
Les animaux sont parfois des témoins plus fidèles de la vie que les humains eux-mêmes. Ils portent la règle sans se poser de question et font ce que l’instinct leur commande. Ils ne s’interrogent pas sur la vie et la mort. Et, pourtant, le pigeon ramier, en construisant son nid avec des morceaux de branches mortes, nous montre, sans discours, que la mort fait le lit de la vie en ses commencements. Sa mission est alors de protéger la vie à sa naissance, d’être la bonne fée qui va garantir un avenir heureux aux petits oiseaux qui vont sortir de l’œuf.
Une vie en communion avec les animaux sauvages
J’ai la chance d’appartenir à une famille nombreuse de dix enfants. Or, lorsque nous étions très jeunes, à la campagne, nous vivions en communion avec les animaux sauvages. Nous connaissions le renard, qui, de temps en temps, venait déjeuner dans notre poulailler. Il était beau, malin, mais il restait notre ennemi déclaré. Nous observions aussi le lapin de garenne, qui, de temps en temps, sous nos yeux, venait faire ses besoins, à l’entrée de son terrier. Le dimanche, les plus grands organisaient de grands jeux dans les forêts proches du village. Nous appréciions les jeux de pistes qu’ils préparaient pour les plus jeunes. Nous étions accompagnés par les chiens bergers qui gambadaient autour de nous. Il y avait, en particulier deux « Dick », celui de notre famille et son cousin germain, qui appartenait au voisin. Le nôtre était très gentil, mais son cousin était belliqueux, comme son maître lui-même. En réalité le maître était fort en paroles, mais il était loin d’être méchant.
Ici, dans la forêt, à part les jeux de pistes, nous étions constamment en contact avec les reptiles. Les grandes couleuvres nous narguaient en traversant le chemin devant nous et nous faisaient très peur. Elles étaient pourtant inoffensives contrairement aux vipères jaunes et vertes, beaucoup plus petites, qui pouvaient nous envoyer de vie à trépas. C’est pour cette raison que les plus grands nous mettaient fermement sur nos gardes.
Le pigeon sauvage apprivoisé
La vie journalière de la semaine avait d’autres rythmes commandés par le temps de l’école. Celle-ci se terminait à quatre heures et demie et nous avions alors du temps pour nous intéresser aux oiseaux. Jean, un frère plus grand, qui avait trois ans de plus que moi, connaissait tous les nids à 5OO mètres de la maison et les visitait régulièrement. Il était intrépide et apprenait aux plus jeunes à grimper sur les arbres, sans toutefois leur livrer tous ses secrets. Nous devions nous contenter des nids les plus proches que nous visitions dès la ponte jusqu’à l’envol des oiseaux. Il fallait éviter de toucher les œufs surtout lorsqu’il s’agissait de corbeaux, qui étaient très sourcilleux et prêts à sacrifier une nichée entière. Nous nous régalions avec les petites pies mais les jeunes corbeaux étaient immangeables. Les petits pigeons, par contre, constituaient un délice pour toute la maison. Or nous avions repéré un nid avec deux petits ramiers, à peine sortis de l’œuf. Nous avons alors décidé de les apprivoiser au lieu de les manger. Le jour venu, alors qu’ils avaient mis quelques plumes, nous les avons subtilisés du nid et ramenés à la maison. Sans que nous n’y prenions garde, notre chat « Nabot » a choisi l’un des deux pour en faire son repas. A mon instigation, il a été très sévèrement puni. Le pigeon restant a été mis dans une cage de pigeons domestiques, avec un couple déjà constitué. Les deux nouveaux parents l’ont nourri et lui ont appris à voler. C’est alors que nous l’avons mis dans une autre cage, qui lui était réservée. Il y est resté pendant une dizaine d’années mais sans vouloir se croiser avec d’autres pigeons domestiques. C’était pourtant là qu’était notre projet.
C’est son côté sauvage qui le rendait attachant
Assez bizarrement ce pigeon était, pour nous, beaucoup plus proche que les autres, parce qu’il était sauvage. L’écart, qui nous en séparait, lui donnait une personnalité, qui le rapprochait des hommes. Il était connu de beaucoup de monde dans le village. Il circulait dans le ciel sur de grandes distances mais, tous les soirs, il revenait dormir dans la cage que nous lui avions réservée.
Blessé par un chasseur, il vient mourir dans la cour de notre maison
Après bien des années, un chasseur le visa sans le distinguer des autres pigeons sauvages. Je pense alors qu’il n’a pas voulu finir dans son assiette et qu’il a préféré, au dernier moment, donner sa chair à manger à ceux qui étaient ses amis depuis longtemps. Peut-être ne pensait-il pas comme nous, mais il aimait tout simplement, tout naturellement.
Un repas rituel ou la communion dans l’amour partagé
Le pigeon pesait une livre. Il a constitué une partie de notre repas un jour où nous étions dix à table. Nous en avions chacun cinquante grammes Or ce que nous partagions ensemble, ce n’était pas de la chair ou de la viande, c’était le souvenir d’un oiseau qui s’était humanisé à notre contact. Nous avions alors l’impression qu’il était là au milieu de nous et que nous communiquions avec lui dans un même amour réciproque. Un pigeon ramier était en train de nous faire comprendre ce qui reste incompréhensible pour la plupart des hommes, à savoir l’eucharistie chrétienne.
Etienne Duval
PS. Réponse à Charles, le 21 septembre 2021
Merci Charles pour ta réponse. Ce que tu sembles oublier, c’est qu’avec le pigeon ramier, nous sommes dans un repas, qui est à la base du symbolisme et de la naissance de la parole. Le spirituel est inscrit jusque dans l’animal. La spiritualisation ne s’effectue pas de bas en haut mais de haut en bas. Elle vient marquer le corps de l’homme mais aussi le corps de l’animal, comme pour les oiseaux de Saint-François.
Ici nous sommes dans un repas qui implique le pigeon lui-même. Il est inscrit dans le partage entre tous et dans la naissance de la parole. Blessé par un chasseur, en venant mourir dans la cour de notre maison, il prend la parole indirectement en nous disant qu’il nous donne sa vie en partage, parce que nous sommes ses amis. Et le repas rituel que nous effectuons ne consiste pas à nourrir notre corps mais à célébrer l’amour qui nous unit. C’est pourquoi un tel repas nous aide à comprendre ce qu’est l’eucharistie : la naissance d’une nouvelle parole qui exprime un partage de l’amour entre un homme qui vient de mourir et ses amis restés sur terre.
Mais il ne s’agit là que d’une introduction à une réflexion qui doit être poursuivie.
PS. Réponse à Charles, le 21 septembre 2021
Merci Charles pour ta réponse. Ce que tu sembles oublier, c’est qu’avec le pigeon ramier, nous sommes dans un repas, qui est à la base du symbolisme et de la naissance de la parole. Le spirituel est inscrit jusque dans l’animal. La spiritualisation ne s’effectue pas de bas en haut mais de haut en bas. Elle vient marquer le corps de l’homme mais aussi le corps de l’animal, comme pour les oiseaux de Saint-François.
Ici nous sommes dans un repas qui implique le pigeon lui-même. Il est inscrit dans le partage entre tous et dans la naissance de la parole. Blessé par un chasseur, en venant mourir dans la cour de notre maison, il prend la parole indirectement en nous disant qu’il nous donne sa vie en partage, parce que nous sommes ses amis. Et le repas rituel que nous effectuons ne consiste pas à nourrir notre corps mais à célébrer l’amour qui nous unit. C’est pourquoi un tel repas nous aide à comprendre ce qu’est l’eucharistie : la naissance d’une nouvelle parole qui exprime un partage de l’amour entre un homme qui vient de mourir et ses amis restés sur terre.
Mais il ne s’agit là que d’une introduction à une réflexion qui doit être poursuivie.
PS. Réponse à Charles, le 21 septembre 2021
Merci Charles pour ta réponse. Ce que tu sembles oublier, c’est qu’avec le pigeon ramier, nous sommes dans un repas, qui est à la base du symbolisme et de la naissance de la parole. Le spirituel est inscrit jusque dans l’animal. La spiritualisation ne s’effectue pas de bas en haut mais de haut en bas. Elle vient marquer le corps de l’homme mais aussi le corps de l’animal, comme pour les oiseaux de Saint-François.
Ici nous sommes dans un repas qui implique le pigeon lui-même. Il est inscrit dans le partage entre tous et dans la naissance de la parole. Blessé par un chasseur, en venant mourir dans la cour de notre maison, il prend la parole indirectement en nous disant qu’il nous donne sa vie en partage, parce que nous sommes ses amis. Et le repas rituel que nous effectuons ne consiste pas à nourrir notre corps mais à célébrer l’amour qui nous unit. C’est pourquoi un tel repas nous aide à comprendre ce qu’est l’eucharistie : la naissance d’une nouvelle parole qui exprime un partage de l’amour entre un homme qui vient de mourir et ses amis restés sur terre.
Mais il ne s’agit là que d’une introduction à une réflexion qui doit être poursuivie.
Les leçons de deux pigeons ramiers
Depuis toujours, j’aime le pigeon ramier, avec son air élancé, sa forte corpulence, la rapidité de son vol, sa couleur bleutée et son collier blanc qui lui donne une distinction inégalable et presque royale. Dans notre région, à l’orée de l’automne, il part avec ses congénères prendre ses quartiers d’hiver en Espagne où la température est plus clémente. Il lui faut alors affronter les périls des Pyrénées où l’attendent chasseurs et dresseurs de pièges. Mais il en sort plus aguerri et beaucoup retrouveront leurs nids la saison prochaine, sans entamer la fidélité de leur couple.
Le pigeon qui fait son nid avec du bois mort
Or, du 15 juillet au début août de cette année, j’ai assisté, de ma fenêtre qui donne sur une cour intérieure, à une scène très étrange. Il y a, à 15 mètres, un bouleau dont les branches supérieures ont séché. Or pendant 15 jours, un pigeon ramier est venu décortiquer toutes les petites branches sèches. Il en avait besoin pour faire son nid.
La mort est là pour protéger la vie en ses commencements
Les animaux sont parfois des témoins plus fidèles de la vie que les humains eux-mêmes. Ils portent la règle sans se poser de question et font ce que l’instinct leur commande. Ils ne s’interrogent pas sur la vie et la mort. Et, pourtant, le pigeon ramier, en construisant son nid avec des morceaux de branches mortes, nous montre, sans discours, que la mort fait le lit de la vie en ses commencements. Sa mission est alors de protéger la vie à sa naissance, d’être la bonne fée qui va garantir un avenir heureux aux petits oiseaux qui vont sortir de l’œuf.
Une vie en communion avec les animaux sauvages
J’ai la chance d’appartenir à une famille nombreuse de dix enfants. Or, lorsque nous étions très jeunes, à la campagne, nous vivions en communion avec les animaux sauvages. Nous connaissions le renard, qui, de temps en temps, venait déjeuner dans notre poulailler. Il était beau, malin, mais il restait notre ennemi déclaré. Nous observions aussi le lapin de garenne, qui, de temps en temps, sous nos yeux, venait faire ses besoins, à l’entrée de son terrier. Le dimanche, les plus grands organisaient de grands jeux dans les forêts proches du village. Nous appréciions les jeux de pistes qu’ils préparaient pour les plus jeunes. Nous étions accompagnés par les chiens bergers qui gambadaient autour de nous. Il y avait, en particulier deux « Dick », celui de notre famille et son cousin germain, qui appartenait au voisin. Le nôtre était très gentil, mais son cousin était belliqueux, comme son maître lui-même. En réalité le maître était fort en paroles, mais il était loin d’être méchant.
Ici, dans la forêt, à part les jeux de pistes, nous étions constamment en contact avec les reptiles. Les grandes couleuvres nous narguaient en traversant le chemin devant nous et nous faisaient très peur. Elles étaient pourtant inoffensives contrairement aux vipères jaunes et vertes, beaucoup plus petites, qui pouvaient nous envoyer de vie à trépas. C’est pour cette raison que les plus grands nous mettaient fermement sur nos gardes.
Le pigeon sauvage apprivoisé
La vie journalière de la semaine avait d’autres rythmes commandés par le temps de l’école. Celle-ci se terminait à quatre heures et demie et nous avions alors du temps pour nous intéresser aux oiseaux. Jean, un frère plus grand, qui avait trois ans de plus que moi, connaissait tous les nids à 5OO mètres de la maison et les visitait régulièrement. Il était intrépide et apprenait aux plus jeunes à grimper sur les arbres, sans toutefois leur livrer tous ses secrets. Nous devions nous contenter des nids les plus proches que nous visitions dès la ponte jusqu’à l’envol des oiseaux. Il fallait éviter de toucher les œufs surtout lorsqu’il s’agissait de corbeaux, qui étaient très sourcilleux et prêts à sacrifier une nichée entière. Nous nous régalions avec les petites pies mais les jeunes corbeaux étaient immangeables. Les petits pigeons, par contre, constituaient un délice pour toute la maison. Or nous avions repéré un nid avec deux petits ramiers, à peine sortis de l’œuf. Nous avons alors décidé de les apprivoiser au lieu de les manger. Le jour venu, alors qu’ils avaient mis quelques plumes, nous les avons subtilisés du nid et ramenés à la maison. Sans que nous n’y prenions garde, notre chat « Nabot » a choisi l’un des deux pour en faire son repas. A mon instigation, il a été très sévèrement puni. Le pigeon restant a été mis dans une cage de pigeons domestiques, avec un couple déjà constitué. Les deux nouveaux parents l’ont nourri et lui ont appris à voler. C’est alors que nous l’avons mis dans une autre cage, qui lui était réservée. Il y est resté pendant une dizaine d’années mais sans vouloir se croiser avec d’autres pigeons domestiques. C’était pourtant là qu’était notre projet.
C’est son côté sauvage qui le rendait attachant
Assez bizarrement ce pigeon était, pour nous, beaucoup plus proche que les autres, parce qu’il était sauvage. L’écart, qui nous en séparait, lui donnait une personnalité, qui le rapprochait des hommes. Il était connu de beaucoup de monde dans le village. Il circulait dans le ciel sur de grandes distances mais, tous les soirs, il revenait dormir dans la cage que nous lui avions réservée.
Blessé par un chasseur, il vient mourir dans la cour de notre maison
Après bien des années, un chasseur le visa sans le distinguer des autres pigeons sauvages. Je pense alors qu’il n’a pas voulu finir dans son assiette et qu’il a préféré, au dernier moment, donner sa chair à manger à ceux qui étaient ses amis depuis longtemps. Peut-être ne pensait-il pas comme nous, mais il aimait tout simplement, tout naturellement.
Un repas rituel ou la communion dans l’amour partagé
Le pigeon pesait une livre. Il a constitué une partie de notre repas un jour où nous étions dix à table. Nous en avions chacun cinquante grammes Or ce que nous partagions ensemble, ce n’était pas de la chair ou de la viande, c’était le souvenir d’un oiseau qui s’était humanisé à notre contact. Nous avions alors l’impression qu’il était là au milieu de nous et que nous communiquions avec lui dans un même amour réciproque. Un pigeon ramier était en train de nous faire comprendre ce qui reste incompréhensible pour la plupart des hommes, à savoir l’eucharistie chrétienne.
Etienne Duval