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5 juillet 2023 3 05 /07 /juillet /2023 15:34

La mort de Nahel et ses conséquences que nous ne comprenons pas

 

La mort de Nahel, à la suite de l’’intervention d’un policier, a pris une dimension qui nous étonne. Il y a là un phénomène que nous ne comprenons pas. La violence s’est répandue comme la fa flamme d’un incendie, impossible à maîtriser. Sans doute opérons-nous une confusion qui nous empêche de voir la réalité telle qu’elle est. Pour soulever le voile qui égare notre perception, nous allons faire référence au mythe biblique de La lutte de Jacob avec Dieu.

 

Lutte de Jacob avec Dieu

 

Cette même nuit, Jacob se leva,

Prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants

Et passa le gué du Yabboq.

Il les prit et leur fit passer le torrent,

Et il fit passer aussi tout ce qu’il possédait.

Et Jacob resta seul.

 

Et quelqu’un lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore.

Voyant qu’il ne le maîtrisait pas,

Il le frappa à l’emboîture de la hanche,

Et la hanche de Jacob se démit pendant qu’il luttait avec lui.

Il dit : « Lâche-moi car l’aurore est levée »,

Mais Jacob répondit :

« Je ne te lâcherai pas, que tu ne m’aies béni ».

Il lui demanda : « Quel est ton nom ? »

« Jacob, répondit-il ».

Il reprit :

« On ne t’appellera plus Jacob, mais Israël,

Car tu as été fort contre Dieu et contre les hommes

Et tu l’as emporté ».

Jacob fit cette demande : « Révèle-moi ton nom, je te prie »,

Mais il répondit :

« Et, pourquoi me demandes-tu mon nom ? »

Et, là même, il le bénit.

 

Jacob donna à cet endroit le nom de Penuel,

« Car, dit-il, j’ai vu Dieu face à face et j’ai eu la vie sauve ».

Au lever du soleil, il avait passé Penuel

Et il boitait de la hanche.

C’est pourquoi les Israélites ne mangent pas, jusqu’à ce jour,

Le nerf sciatique, qui est à l’emboîture de la hanche,

Parce qu’il avait frappé Jacob

À l’emboîture de la hanche, au nerf sciatique.

(Genèse, 32, 23-33)

 

Une lutte inspirée par l’amour et non par la haine

 

Le texte que nous livre la Bible est particulièrement étrange. Jacob est en train de prendre sa liberté par rapport à son oncle Laban, chez qui il a travaillé et élevé des onze enfants. C’est une nouvelle existence qu’il veut engager :  en abordant la rivière Yabboq, il effectue un passage essentiel pour sa vie future. Patiemment il commence par faire passer ses troupeaux, ses onze enfants, ses deux femmes Léa et Rachel et ses deux servantes. Or maintenant la nuit est là, qui l’enveloppe de toutes parts. Il est seul face à lui-même. Mais, dans cet entre-deux, un Autre s’interpose et lui barre le passage. Peu à peu, il comprend que c’est le Dieu de son père. Alors sa lutte prend un autre sens. Elle devient un combat d’amour pour l’adoption. Il faut que l’Autre lui fasse une place. Celui-là finit par accepter en inscrivant son propre nom dans celui de son nouveau partenaire : Jacob devient alors Israël (que Dieu règne). Désormais il appartient vraiment à la famille de Dieu.

 

La recherche d’adoption chez les jeunes des banlieues

Fondamentalement, les jeunes des banlieues, qu’ils viennent du Maghreb, d’Afrique ou d’autres anciennes colonies françaises, aspirent, eux aussi, depuis assez longtemps, à l’adoption par la nation elle-même. Ils veulent être considérés comme français à part entière. Mais les politiques n’ont souvent pas compris une telle transformation. Ils continuent à vivre dans la méfiance et ne sont pas toujours prêts à accepter l’adoption d’une population dont ils continuent à se méfier.

 

Le déchaînement de violence lorsqu’un jeune est tué par la police

Lorsqu’un jeune est tué par la police, chaque autre jeune aspirant à l’adoption reçoit l’évènement comme une atteinte personnelle très profonde. Il s’aperçoit qu’il ne compte pas et que son souhait est loin d’être pris en compte. Au départ, c’est un déchaînement de désespoir qui se transforme en soulèvement de violence. La raison n’a plus de place et la violence elle-même devient mimétique. En fait, la violence de l’autre devient la règle de ma propre violence.

Il n’est pas question ici d’incriminer la police, car son travail devient de plus en plus compliqué en raison du phénomène de la drogue et des dealers. Mais, en même temps, la drogue constitue un écran, qui empêche de voir la réalité avec les nuances qui s’imposent. Comme les citoyens eux-mêmes, les policiers ne voient qu’une dimension de la réalité.

 

Nous sommes renvoyés au problème que nous ne voulons pas voir

Si nous voulons avancer, il est indispensable de sortir d’une attitude défensive. Le jeune des banlieues n’est pas simplement un être qui s’est égaré dans la violence : comme chacun d’entre nous, il est en demande d’amour. Il ne voit d’issue à son mal-être et à sa solitude que dans son adoption par la France toute entière. Les spécialistes de la violence nous ennuient ; ils ont oublié que derrière la violence, il y a aussi la vie.

 

Si nous répondons à l’attente d’adoption des jeunes, nous réveillerons une énergie considérable

Des trésors se cachent sous les soubresauts d’une jeunesse acculée parfois au désespoir. Si elle est accueillie comme il se doit, non seulement elle ne sera pas une charge nouvelle, mais elle fournira une force créatrice insoupçonnable pour la transformation des banlieues et de la société dans son ensemble.

Etienne Duval, le 5 juillet 1023

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commentaires

C
Charles Lallemand<br /> 19:34 (il y a 1 heure)<br /> À moi<br /> <br /> Merci Etienne pour cette réflexion sur la violence manifestée par des jeunes de banlieue issus de l'émigration face à la police et qui t'amène sous l'éclairage du mythe biblique de la lutte de Jacob avec Dieu à voir dans cette violence leur attente de quoi ? d'adoption, par qui ? par la France, tel Jacob recevant du Dieu de son père un nouveau nom, celui désormais de son adoption dans cette nouvelle famille, celle qui fait une place à l'Autre.<br /> Cette notion d'adoption comme demande de la part de ces jeunes m'a d'abord interrogé : n'y aurait-il pas de notre part une tendance paternaliste à ne les voir, même à la 3ème génération, que comme victimes du colonialisme et donc à les prendre sous la protection de la mère patrie française, comme si c'était cela leur demande : effacer les traces de ce "moins blanc que blanc" dirait Coluche, qui hante notre inconscient ?<br /> Et puis j'ai réalisé que l'adoption c'est une démarche qui renvoie fondamentalement à la question du père : une mère - si ce n'est celle de la GPA (gestation pour autrui) - n'adopte pas son enfant, elle le porte déjà dans son ventre, alors que le père est nécessairement dans cette démarche qui est une fonction symbolique, précise la psychanalyse ; la généalogie, comme le rappelle Pierre Legendre dans L'inestimable objet de la transmission (p.303) ne fonctionnant pas par accumulation des places et réciprocité entre deux personnes mais par permutation symbolique, dans une dissymétrie entre deux places ( qui mobilisent par ailleurs trois générations , père de mon fils et fils de mon père) et toutes deux en référence à un tiers : la Référence absolue, au risque sinon de voir la relation père-fils (ou fille) réduite purement à la famille et les pères se l'approprier en souverains. Par ailleurs, dans cette permutation, l'enfant n'est pas le produit d'une somme, son père se juxtaposant à sa mère ; aussi doit-il apprendre à ne plus être sa mère... encore faut-il qu'il y ait des pères !<br /> Pierre Legendre observe aussi (p.339) que l'adoption, transmise à l'Occident par le droit romain, définit une forme élective de filiation : j'adopte, c'est-à-dire je choisis, de là : les enfants adoptés, comme s'ils étaient choisis.<br /> Il reste que pour ma part, plutôt que la demande d'adoption de la part de ces jeunes, je préfère celle de reconnaissance, terme que Paul Ricoeur dans la critique et la conviction, entretien qu'il a eu en 1994-95 et que je suis en train de travailler, oppose à identité. " Le terme de reconnaissance (p.96) me paraît beaucoup plus important que celui d'identité, autour duquel le débat du multiculturalisme tourne la plupart du temps. Dans la notion d'identité, il y a seulement l'idée du même ; tandis que la reconnaissance est un concept qui intègre directement l'altérité, qui permet une dialectique du même et de l'autre. La revendication d'identité à toujours quelque chose de violent à l'égard d'autrui. Au contraire, la recherche de la reconnaissance implique la réciprocité."<br /> La reconnaissance qui intègre l'altérité fait donc aussi appel à la notion de don ; et c'est là Etienne que je te rejoins, dans ce mythe biblique de la lutte de Jacob avec Dieu qui m'évoque l'économie, non pas notre économie capitaliste mais l'économie au sens originel - Oikonomia - de la théologie chrétienne : l'économie du Salut, celle du don et finalement de l'Amour, comme l'exprime l'apôtre Paul dans son épître aux Corinthiens et dont Paulo Coelho avec Le Don suprême qu'il vient de publier fait un très beau commentaire.<br /> Amicalement. Charles
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E
J'ai discuté, cet après-midi, avec une assistante sociale algérienne. Elle m'a assuré que les jeunes qu'alle connaît aiment la France. Et, c'est pour cette raison qu'ils souhaitent l'adoption. Si cette démarche est importante pour eux, c'est non seulement arce qu'ils souhaitent devenir français, mais c'est surtout parce que l'adoption, depuis toujours, est la démarche qui fait accéder à l'humanité, dans la reconnaissance de l'autre.
M
C est une lecture originale, pourquoi pas ?
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D
En tout cas, la dimension de'adoption dans le travail d'insertion est essentielle
J
Merci Étienne pour cet article intelligent et bonnes vacances à toi si tu vas t'aérer hors de Lyon.<br /> <br /> Mes amitiés<br /> <br /> Jacqueline
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E
Merci de ton commentaire et bonnes vacances à toi !
P
Pour Boris Cyrulnik, seule l'éducation peut sauver ces enfants "émeutiers ".<br /> C'est tellement évident. Nos politiques de gauche sont loin de le dire!
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E
Je ne vais pas re contredire. Mais la vérittable éducation passe par une adoption des élèves par celui qui les forme.
D
Etienne, tu as compris ce que je ne voulis pas entendre, c'est-à-dire pourquoi il y a de la violence chez les jeunes non admis par notre société.
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E
Merci de ton commentaire.
P
Je partage ces explications et cette nécessité de mieux accueillir cette jeunesse. Comment? Je pense que l'école et les associations ont un rôle majeur. L'autorité et la discipline sont les clés de la réussite. Comment enseigner à des jeunes en difficultés dans les conditions actuelles sans discipline et respect des enseignants? L'éducation nationale devrait imposer dans des classes moins nombreuses des conditions quasi similaires a celles des années avant 1960. Tous les élèves auraient le niveau de 6ème en CM2. La réussite au lycée serait donc facilitée et, en conséquence, la possibilité de s'intégrer et d'obtenir un niveau culturel si précieux et nécessaire. Les années 68 et..., "pour l'école et es lycées" ont été très négatives sur ces points pour les jeunes en difficultés et plus (quand on voit les classements internationaux).
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E
Peut-être que l’adoption devrait se manifester jusque dans l’école. Alors le mot autorité pourrait retrouver son véritable sens : autoriser l’autre à être lui-même, c’est-à-dire l’autoriser à réussir. Dans une telle situation, l’élève aurait beaucoup plus de facilité à reconnaître l’autorité du maître.
B
Merci, je trouve cela très juste.
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E
Merci Brigitte !
G
L'article su Nahel est maintenant référencé par Google.
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M
Magnifique !! Un grand merci , j’adhère de tout mon être à ce que vous avez écrit et votre texte m’a apaisée…<br /> Encore merci et je vous envoie une brassée de fleurs de Valloire et une bonne bolée d’air pur !!<br /> Maïté Rossi<br /> Envoyé de mon iPhone
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E
Merci pour ces mots qui m'encouragent.<br /> Bonne soirée !
J
Les émeutiers sont différents de leurs aînés. Jeune, souvent mineur. Souvent de le de 3e génération de venus d'ailleurs.<br /> Le grand-père, le père semblent bien intégrés.<br /> Parce qu'ils ont souvent nié leur origine pour adopter une histoire qui ignore leur histoire. Et la 3e génération fiippe.<br /> Bonjour les dégats.<br /> Comment peuvent-ils passer d'une histoire mise sous le boisseau à cette nouvelle histoire dont leurs pères et eux-mêmes ignorent les fondements ?<br /> Et les politiques inventent la répression. Car eux aussi flippent. <br /> Que faire ?<br /> denis
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E
Merci Denis !

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