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21 mai 2008 3 21 /05 /mai /2008 09:43


Nicole Kidman (Grace) dans le film "Dogville"

http://blogs.guardian.co.uk/film/2007/05/13-week/

La violence constitutive de l’homme

 

L’homme ne peut échapper à la violence, qui le constitue dès l’origine. Dans le film de Lars von Trier, que présente Jacques Besombes, la volonté de lui échapper provoque, en fin de parcours, son déchaînement inattendu et incontrôlé. Heureusement, le récit du sacrifice d’Abraham nous montre que nous ne sommes pas condamnés à une fatalité meurtrière. L’humanisation de l’homme passe par une intégration de la violence, pour en faire, grâce à un processus de symbolisation, le chemin vers une parole libératrice.


Dogville, film de Lars von Trier, 2003

 Une fable intempestive qui parle de violences,

de leurs sources possibles et de leur développement insoutenable.

 

L’action du film est située aux USA dans un petit hameau perdu des « Rocheuses, à l’époque de la grande dépression. Dans la nuit, Tom entend des coups de feu. Poursuivie par des gangsters, Grace, une belle et élégante jeune femme lui demande de l’aide et l’asile. Il accepte et réussit le lendemain à convaincre les villageois de la protéger.

Lars von Trier, le réalisateur, a tourné son film dans un hangar noir qui représente le village et dont on ne voit pas les limites. Les contours des rues et des maisons sont dessinées à la craie et légendés comme sur une carte, les protagonistes ouvrent et ferment des portes inexistantes percées dans des cloisons invisibles, on voit juste quelques meubles. Mais loin de le distraire cet artifice qui permet la vision « à travers les murs » conduit le spectateur à être au pire le voyeur, au mieux un voyant des évènements qui vont s’y dérouler. Certaines images zénithales évoquent une fourmilière. La lumière varie selon l’heure de la journée ou le développement de l’intrigue et joue aussi son rôle dans l’histoire.

« Quand on demandera qui doit mourir Vous m'entendrez dire : Tous »

(Bertolt Brecht, Kurt Weill, "La chanson du pirate", dans "l'Opéra de quatre sous")

Lars von Trier a dit que son scénario était inspiré par ces paroles de la « chanson du Pirate», certains ont crié au scandale devant ce qu’ils ont vu comme un détournement de sens. 

 

L’histoire se veut une fable sur la cruauté humaine

Elle est fondée sur un « deal » passé entre Grace, la belle étrangère poursuivie - selon ses dires - par des gangsters et la petite communauté, pauvre et simple de Dogville, qui accepte d’abord de lui accorder asile à titre provisoire. Le héros du film, est le jeune Tom Edison, intellectuel parfaitement  improductif. Il est animé par une série d'idéaux de plus en plus fumeux au fur et à mesure qu’avance le film. Il s’est autoproclamé « guide/philosophe » du village. Il ne cesse de repousser la réalisation de sa soi-disant œuvre littéraire car il ne parvient à écrire que deux seuls mots :

 « grand » et « petit ».

Grace - hésitante, lumineuse, gracile - survient au moment où, précisément, Tom avait convié les habitants du village à un exposé sur la notion « d'acceptation », et dont l'objectif consistait à leur faire admettre qu'ils ne savaient pas recevoir.

Grace, surgie comme un don du ciel, va l’aider à illustrer son point de vue, mais aussi permettra à la communauté de  témoigner de son ouverture envers l'étrangère.


Puis, progressivement,  les bassesses de l’être humain

  Au fur et à mesure que la police placarde des affiches de recherche de Grace d’abord « délinquante » puis « criminelle », sont mises au jour, les bassesses de l’être humain, prêt à profiter de la faiblesse d’une étrangère apeurée. Pas de bons ni de méchants, juste l’(in)humanité dans toute sa lâcheté et son égoïsme, la violence sournoise ! Aucun n’est innocent, surtout pas Tom, le bon garçon vertueux et qui se dit prêt à aider son prochain. Accessoirement, car son propos est à l’évidence plus général, Lars Von Trier démonte le rêve américain. Connecté avec le réel, le générique final tient lieu de morale de l’histoire. L’Amérique, à travers laquelle l’humanité espérait retrouver le paradis perdu, a échoué. Grace se trouve projetée dans cette communauté sans dehors, où la pauvreté et l'abrutissement de l'esprit, une fois conjuguée à la règle de l'intérêt personnel et à la loi du bouc émissaire, se transforment en violence et en sadisme. C'est ainsi que l'on passera graduellement d'un échange, d’apparence convivial, à un asservissement complet de Grace, jusqu'à sa mise en cage : son travail, d’abord accepté parce qu’il favorise son intégration et payé comme un service rendu, n'est plus rémunéré, chacun à son tour la trahit. Elle ne dispose d'aucune souveraineté sur son corps et devient la proie de tous les hommes du village. Après que Grace eut tenté de fuir, on lui installe autour du cou un horrible et humiliant dispositif de fer qui rend ses déplacements pénibles.

 

Le jeu de Tom qui fait de Grace la victime

  Tom Edison, (sorte de figure étatique, veillant au bien collectif et qui les mènera tous à la mort) organise le jeu dont Grace devient la victime. Il est  le seul à ne pas participer directement au commerce - il est celui qui ne demande rien, et qui ne reçoit rien. Il ne prétend pas au butin : le corps de Grace (alors qu’il en est amoureux). Cependant, c’est lui qui prêche à Grace l’acceptation de la situation et son discours reste des plus ambigus, jusqu’à son geste non revendiqué de voler à son propre père l’argent qui servira à organiser la désastreuse fuite manquée de Grace. Mais, au moment où il se sentira complètement frustré dans son désir physique, il finira par la livrer aux gangsters.

Ceux-ci entrent alors dans Dogville, et Grace, libérée par eux,  est appelée dans la voiture du « patron ». Ce patron, nous est-il alors révélé, c'est son père. Grace a quitté le domicile familial à cause d'une querelle avec lui. Le  mot « arrogance », semble à l’origine du conflit. Grace reprochait à son père son attitude hautaine et méprisante envers les « inférieurs » ; tandis que son père, lui reprochait l'arrogance de sa charité et de son noble pardon :

« That's very arrogant ! »

Son père propose à Grace de lui succéder à la tête de la bande et du business familial. Grace refuse dans un long premier temps ; puis elle accepte après réflexion, s'empare du pouvoir qui vient de lui être conféré et donne son premier ordre : mettre à mort la population entière de Dogville[i] car, dit-elle :

« The world would be a better place, without a town like Dogville. »

 

L’horreur du massacre des habitants et l’exécution de Tom  par Grace

 Survient alors l’horreur lourdement accentuée du massacre de tous les habitants et l’exécution de Tom par Grace elle-même ; puis les voitures noires partiront du village effacé. Succédera alors un étonnant générique de fin. Sur la chanson « Young Americans » de David Bowie, on assiste à un défilé des différents visages de la pauvreté états-unienne. Dogville, la ville, s'incarne alors, son voile d'abstraction se soulève partiellement.

Grace, en est arrivée finalement à comprendre que des comportements aussi condamnables, tels qu’elle ne pourrait jamais se les pardonner elle-même, ne sont tout simplement pas tolérables ni excusables chez les autres. Dans cette parabole, l’excès de gentillesse et de compréhension n’est pas à la hauteur du mal et de la méchanceté ; il est l’arrogance du bon. Agissant comme elle l’a fait, Grace n’a fait qu’empirer la situation, car les gens ne lui ont pas pardonné d’avoir cru aussi longtemps à la bonté qu’elle voyait  en eux. Pour les habitants de Dogville, Grace était  une sorte d’épreuve à passer… Et ils ont échoué.

 

Que peut bien nous dire ce film ?

 
Le propos et en particulier la conclusion paraissent de prime abord irrecevables.

 
Au premier niveau :  on peut se demander si l’on n’est pas victime d’un superbe manipulation de la part de Monsieur Lars von Trier qui jouerait magnifiquement sur notre émotion pour nous embrouiller dans des théories incohérentes. En quelque sorte, il ferait violence à nous même. Je ne le  crois pas. Les pistes sont nombreuses et les conclusions, toutes, moralement douteuses, mais on peut admettre qu'il faille les prendre toutes ensemble, non comme des vérités bien entendu, mais comme des problèmes que ce film tenterait de nous exposer, pour nous forcer à en voir la complexité et la multiplicité.

-ou bien les pauvres sont comme des chiens qui n'écoutent que leurs instincts et ils peuvent mordre la main de celui qui les a « nourri ». Mais les puissants sont tout aussi cruels dans leur cruelle logique. Les deux violences se nourrissent l’une de l’autre.

-ou bien  la misère sociale ne peut pas tout excuser : est-ce suffisant « de faire ce qu’ils peuvent » ? 

-ou bien que la charité a des limites, que le pardon est une forme d'arrogance.

-ou bien qu'il y a des gens qui méritent d'être liquidés. Difficile à admettre dans notre culture humaniste, bien que certains parfaitement aux sources de la culture humaniste l’aient parfaitement accepté. Et puis n’oublions pas aussi que cet humanisme occidental devient minoritaire sur la planète.

-ou bien : les forts ont toujours raison. Dans le domaine des faits, comment croire le contraire ?

-ou bien la « bonté » n’est qu’apparence et cache le pire. Les apparences sont souvent trompeuses….

-ou bien que le penseur bavard conduit ses émules à leur perte.

-ou bien etc…

 

Au second niveau : Dogville semble nous dire que le massacre et le pardon sont équivalents, participant d’un même excès. Grace est condamnée à osciller entre les deux excès : le don complet de soi ou la destruction totale de l'autre. La communauté du village, au contraire, fonctionne sur le calcul et le re-calcul des valeurs des choses en fonction de l'offre et de la demande et ce, jusqu'à l'esclavage, le sexe n'étant qu'un des termes de cette soumission.  Le conflit naît de deux types de rapports à l'échange, l'un fonctionnant de façon totalitaire, liquidatrice, globale, l'autre de façon lente, insidieuse, calculatrice, mesquine. Et peut-être qu'au bout du compte, entre cette économie « totalitaire » et cette économie « marchande », l'une est aussi terrible que l'autre. Il me semble que c’est l’accumulation de mesquineries, de bassesses, puis  de sadisme et d’inhumanité qui émeut le spectateur pendant le long déroulement de la dégradation de la situation de Grace au sein du village ; alors que  le caractère instantané, la brutalité, l’excès de cruauté du massacre final épouvante et peut entraîner une forte réaction de rejet. Nous avons tous été confronté un jour à l’une ou l’autre des humiliations infligées à Grace, mais nous sommes révoltés par leur empilement progressif et irrésistible. De même nous peinons à comprendre sa relative passivité, surtout en regard du caractère dérisoire de sa fuite d’enfant gâtée telle qu’elle apparaît à la fin. Etrange est son dernier argument pour défendre les villageois, juste avant le dénouement : « ils font ce qu’ils peuvent » qui attire la réponse de son père : « oui, mais est-ce suffisant ?

 

A un troisième niveau : Il y aurait deux violences qui se répondent en miroir et avec une certaine équivalence 

-celle des pauvres, des faibles qui connaissent la peur et qui petitement profitent de plus faibles ( ?) qu’eux

-celle des puissants, des riches, qui font la loi et l’appliquent logiquement avec le plus grand cynisme et la plus grande cruauté (à leur dimension). On peut penser aux « chiens de paille[ii] »  Du Tao Te King.

Le personnage de Grace devient intelligible si on prend en compte qu’elle n’a jamais cessé de faire partie de cette « caste » des puissants, que son immersion dans le « peuple » est factice, conséquence d’un caprice, car a-t-elle vraiment été menacée par les gangsters ? C’est  seulement son obstination puérile à vouloir avoir raison qui l’a poussée à l’acceptation, au sacrifice. Elle a toujours été d’une autre nature qu’eux, au-dessus d’eux, même pendant son calvaire.

 

Un quatrième niveau  apparaît alors : le réalisateur voudrait nous montrer un cycle de violences qu’on peut schématiser ainsi :

En premier existe une « tolérance perverse » basée sur l’arrogance du bon, du fort. Peut-être est-ce déjà là une forme de violence (mensonge, manipulation) ? Elle est proche de l’irrespect envers les faibles qui l’entourent (cf. le dialogue pipé entre Chuck et Grace sur le « respect » qu’elle devrait lui témoigner). Cette tolérance permet le développement progressif d’une autre violence sournoise jusqu’à un point où elle devient insupportable (intolérable) et déclenche en retour la violence totale exterminatrice. Mais dans la réalité, l’extermination n’est jamais totale, subsistent toujours des survivants et le cycle peut recommencer.

Thèse fortement provocatrice et profondément anti-humaniste qu’il est possible de réfuter, mais qui peut aussi éventuellement aider à éviter le massacre.

 

 

 

 



[i]  Ce geste inouï me paraît à rapprocher d’une interprétation moins connue que celle de Michael Moore du massacre de COLUMBINE qui pose l’idée principale suivant laquelle les mobiles des massacreurs auraient été les humiliations considérables qu’ils auraient subies de la part de leurs condisciples. L’actualité nous montre que ce phénomène est peut-être plus général et plus proche.

 

[ii]  Ciel-Terre ignore la Bienveillance

Traitant les Dix  mille êtres comme chiens de paille

Le Saint ignore la Bienveillance

Les cent familles, il les traite comme chiens de paille

L’intervalle Ciel Terre

Est comme le soufflet

Il se vide sans se lasser

Actionné il veut souffler encore

On parle, on parle on suppute à l’infini

Mieux vaut garder le centre

Dao de Jing (Tao te King) Poème N° 5, traduction de Claude Larre s.j.

«  Dans la Chine ancienne, on fabriquait pour les enterrements des objets en paille tressée ayant l’apparence d’un chien pour absorber sur le chemin du cortège les influences maléfiques. Avant l’enterrement on traite le chien avec honneur, après l’enterrement on le jette avec horreur. »

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Le récit et les réflexions ci-dessus ont été en partie extraits des sites et articles suivants

http://pserve.club.fr/Dogville.html

http://archives.arte-tv.com/fr/archive_258209.html  

On peut lire aussi :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Dogville

Et voir de nombreux extraits du film sur le net.

 

Jacques Besombes

 

 

  

 

Le sacrifice d’Abraham ou le parcours de la violence

 

 

La vie est un combat pour l’espérance. Abraham, le vieux patriarche le sait mieux que personne. Constamment, il est en dialogue avec Dieu comme avec un ami pour savoir quelle doit être la route à suivre. Mais aujourd’hui il ne le comprend pas. Sa parole lui devient insupportable. Elle est comme un glaive qui pénètre jusqu’au fond de son cœur.

 

Le glaive à l’origine

Depuis longtemps, le rapport entre la violence et la parole lui est devenue familière. Il y a quinze ans déjà, la parole de Sarah sa femme s’est imposée à lui : contre son gré, il a dû chasser Ismaël qu’il chérissait par-dessus tout. Aujourd’hui, c’est Dieu Lui-même qui lui demande de sacrifier Isaac. Le glaive est-il nécessaire pour ouvrir la route de l’avenir ? Il y a manifestement quelque chose qu’il ne comprend pas.

 

La conscience se déchire

Un fossé est en train de se creuser entre son désir et la volonté du Très-Haut. Le glaive de la parole qui s’impose opère une scission à l’intérieur de sa conscience. Il ne coïncide plus avec lui-même. Soudain, la fragilité envahit tout son être. Il ne sait plus qui il est. Il ne sait plus qui est Dieu. Son cheminement intérieur  le conduit aux portes de la folie au moment où son pèlerinage vers la montagne du sacrifice l’entraîne aux portes de la mort, avec Isaac, son âne et deux serviteurs.

 

La question de l’enfant qui tient à la vie

Maintenant, il est seul avec son fils. Isaac vient de prendre la place de l’âne : Abraham le charge du bois du sacrifice. Ils marchent côte à côte dans un silence angoissant. Plus ils se rapprochent de la montagne de l’holocauste, plus ils se séparent l’un de l’autre. La relation se dissout, les plongeant dans une profonde solitude. Bien plus, chacun a l’impression de marcher à côté de lui-même, ne pouvant se raccrocher à cette autre moitié qui s’échappe. Alors, pour se rassurer, Isaac interpelle son père. – « Oui, mon fils ! – J’ai, sur mon dos, le bois du sacrifice. Tu portes toi-même le feu et le couteau. Mais où est donc l’agneau pour l’holocauste ? » Plongé dans l’émotion et ne pouvant retenir ses larmes, Abraham détourne son visage vers le ciel. « Mon enfant, Dieu y pourvoira ! »

 

Le face à face avec la mort

Le face à face avec Dieu devient en ce moment un face à face avec la mort. Dans une confusion extrême, le patriarche ne peut plus les dissocier, unissant dans un même élan les inconciliables. Tout entier dans une foi absurde, il est aussi tout entier en proie à la force de mort qui sort de lui-même. Retenant son souffle, il prend son fils et le lie sur le bois de l’holocauste comme s’il l’unissait désespérément à Yahvé. Confusément, il pénètre dans un acte créateur qui paraît associer la vie et la mort. Poussé par une énergie qu’il ne maîtrise pas, son bras s’élève avec le couteau pointé vers un au-delà de lui-même. Mais au moment où il se ressaisit pour égorger son fils, une force intérieure vient arrêter sa détermination. Sa violence n’est pas supprimée : elle est en train d’opérer un revirement de sens. Jusqu’ici, il la croyait extérieure. Mais subitement, il l’a expérimentée en son être tout entier ; elle était une impulsion étrange, prête à rechercher une délectation morbide dans la mort. Sans bien s’en rendre compte, le patriarche vient de l’intégrer comme une part de lui-même, et c’est cette intégration qui permet d’opérer un dépassement de sens.

  

L’ange de la vie contre l’ange de la mort

 L’ange de la vie, prenant le relais de l’ange de la mort, lui adresse une parole de lumière. Il ne s’agit pas de faire mourir l’enfant. Il convient plus simplement de s’en dessaisir ; il n’est pas seulement un fils d’homme, il est aussi fils de Dieu. La paternité renvoie à un au-delà de soi-même, qu’il faut accepter pour devenir réellement père dans un partage avec l’Autre. C’est ici que la violence se révèle avec toute sa complexité, dans son rapport étrange avec le sacré. Elle est une force de mort constitutive de l’homme, mais, une fois intégrée, comme la main de l’ange, elle se retourne contre la mort elle-même pour faire place à une vie plus humaine. Faisant mourir pour faire vivre, dans un même acte indissociable, elle devient le passeur qui permet de traverser la mort.

 

Abraham, le bélier récalcitrant

Le parcours d’Abraham, qui est aussi parcours de la violence, n’est pas encore terminé. Il reste chez le grand patriarche une force qui résiste. Chez lui, au même instant, les prises de conscience  se multiplient. Saisi par la voix de l’ange, il lève aussitôt la tête et voit un bélier, qui s’est pris les cornes dans un buisson. C’est lui-même qu’il découvre tout à coup, enfermé dans une toute-puissance, qui le met en difficulté avec l’arbre de la vie et le buisson de Dieu.

 

La toute-puissance sacrifiée

Sans doute la toute-puissance fait-elle la grandeur du patriarche, au moins selon les apparences. Mais, en réalité, elle contribue à sacrifier Isaac son fils, en l’empêchant de vivre sa vie d’homme. Bien plus, elle donne naissance à une conception mensongère de Dieu, qui déforme sa conscience et contrarie ses choix. Abraham comprend subitement que c’est elle qu’il doit sacrifier.  Déliant le bélier pour délier son fils, il l’offre en holocauste à la place d’Isaac. Ainsi la violence resurgit : en tuant l’animal elle pénètre dans le symbolique pour opérer le sacrifice d’Abraham, le tout-puissant.

 

La naissance de la parole et la libération d’Isaac

Maintenant, Isaac peut faire son passage à l’âge adulte. L’ombre de son père s’efface, la hiérarchie paternelle fait place à l’égalité des hommes. Le fils acquiert le droit à la parole, source de fécondité, et par là -même il acquiert le droit de devenir père à son tour. Désormais l’avenir est ouvert. Il appartient à Isaac de poursuivre l’œuvre de la filiation et à la parole, héritière d’une violence transfigurée, d’assurer au patriarche, au-delà de la toute-puissance, une « postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel ».

 

La parole qui structure le désir pour faire advenir l’amour

Le parcours de la violence a fini par nous conduire à la parole. Creusant le désir pour faire sa place à l’Autre en suscitant le manque, elle le structure de l’intérieur pour que l’amour devienne possible. Dans le mythe fondateur que nous venons d’étudier, Abraham transmet l’amour en même temps qu’il nous propose la parole. Mais paradoxalement, il continue  à nous transmettre la violence constitutive de l’homme, car chacun doit continuer un parcours, qui n’est jamais achevé.

 

Un sujet qui se constitue au fil du parcours

 Les tensions qui structurent le récit contribuent à faire d’Abraham un sujet à part entière avec ses différentes caractéristiques :

-         Un sujet qui produit du symbolique (sacrifier sans tuer)

-         La conscience de soi (conscience déchirée qui sort du déchirement en découvrant la toute-puissance cachée)

-         Un sujet qui manque de l’autre (effet du sacrifice de la toute-puissance d’Abraham)

-         Un sujet qui parle et donne la parole (nouveau rapport entre Abraham et son fils)

-         Un sujet qui intègre la limite pour la dépasser (rapport avec Yahvé, à Bersabée avant le récit et à la fin du récit)

 

 

Etienne Duval


Télécharger : http://etienneduval.neuf.fr/textes/La%20violence%20constitutive%20de%20l'homme.rtf

Télécharger le texte biblique : http://mythesfondateurs.perso.cegetel.net/Textes/Le%20sacrifice%20d'Abraham.rtf

 


Le sacrifice d'Isaac de Chagall

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commentaires

E
François, tu n'es pas le seul à ne pas avoir eu le texte sur le sacrifice d'Abraham. Il est sur le blog et tu peux même le télécharger en fin de texte.
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F
Pour "la violence, etc..." j'ai bien lu le long article sur cet horrible film danois mais je n'ai pas trouvé ton contre-point sur Abraham et Isaac... Peut-être l'avais tu déjà envoyé il y a longtemps ? Je ne doute pas une seconde du caractère radical de la violence mais je crois surtout à la contre-violence de la loi pour la limiter. En bon Romain, l'empire contre les guerres locales...<br />  
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P
Et non on ne peut etre juge et partie... allez vous y arrivez c'"est le principal!
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E
Enfin ! Chez vous, les diagnostics ne sont pas faciles !
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P
Ca me va beaucoup mieux...
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E
J'ai compris, votre ambition que j'approuve, c'est d'être un homme tout simplement.
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P
Oh la-bas, au Texas, je n'etais et ne suis ni médecin, ni thérapeute, juste un homme qui dit non a une barbarie légale et qui essaie de le montrer a ses victimes.
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E
Je retiens : "Notre seul outil, c'est nous-mêmes". Je retiens aussi l'image saisissante des deux mains face à face et séparées par une paroi de verre : la main du médecin et la main du candamné à mort, juste avant le grand passage. La mort et la vie unies par une même humanité !
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P
Merci mais je ne suis pas d'accord avec vous... (une manie??)  Le langage du toucher n'est pas difficile s'il est spontanné..... et surveillé par celui qui "touche". Comme je vous l'ai dit je crois que notre seul outil c'est nous-mêmes et je concois tres bien que des thérapeutes ne puissent toucher, ils ont raison, leurs raisons. Personnellement ma formation initiale de médecin m'amène a toucher et je crois que rien ne fait autant de bien aux patients que nous recevons que la vraie humanité qui passe dans un serrage de main dans les moments difficiles ou la solitude absolue s'évapore dans un échange de main.Vous me faites penser à mes visites aux condamnés à mort au Texas ou evidemment tout contact est interdit. Lors de la "derniere journée" d'un de mes correspondants nous avions la main a plat, face a face sur la vitre qui nous séparait et doucement la chaleur est passée au travers du verre blindé, et tous les deux nous l'avons remarqué. L'humanité dans ce moment d'une extrême barbarie était là. Dans un "symbole" de contact. Bon allez j'ai un Congolais qui m'attend et le respect que je lui dois fait que je vais le faire entrer dans mon bureau à 9heures et... il est 9heures...J'arrête Mozart et j'y vais! Docteur Pierre Duterte Médecin Directeur Psychothérapeute - Thérapeute
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E
Pierre, vous avez raison, l'appellation de maître cache trop souvent une forme subtile de toute-puissance, qui va à l'encontre de la véritable humanité. Par ailleurs, je retiens, en plus du langage des yeux, le nécessaire langage du toucher, sans doute un des plus difficiles.
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P
Merci pour votre gentillesse mais dans toutes ces appellations le terme de "maitre" ne me convient pas du tout.... :-) celui d'humain beaucoup plus, je ne crois pas en la maitritude qu'elle soit physique ou des idées. Et puis je me sens par trop bloqué dans une notion de maitre, j'essaie de ne pas en avoir, même si je rentre tout juste d'une de ses soirées de rêves pour moi avec Pierre et Colette Soulages, pour moi ce n'est pas un maître de la peinture, c'est un type formidable et je crois vraiment que les patients c'est pareil. Regard oui, mais aussi contact, je crois que l'humanité se concentre dans le regard. Je crois que lui ne ment pas : c'est ce que j'aime dans le portrait! Allez il est très tard et je ne peux resister à l'appel d'un maitre quand même, celui qui s'appelle sommeil !Merci a vous d'être venu à "ma rencontre" pour la deuxième fois!<br />  
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E
A Pierre DutertePierre, en parlant avec vous aujourd'hui, vous m'avez fait découvrir quelque chose de très important : je veux parler du langage du regard. Vous êtes en face de personnes qui ont subi la torture. Elles ont intégré une image de haine à travers le regard de leur bourreau : image de soi-même complètement défigurée et destructrice. Vous avez eu l'intuition, me semble-t-il, que le résumé de toute leur torture s'était imprimée dans ce regard, dans le langage de ce regard. C'est donc sur lui qu'il faut maintenant agir : opposer au regard-langage de la haine un regard-langage de l'amour pour que la victime puisse se reconstruire à partir de ce regard. On n'est plus seulement dans la psychologie, on est dans l'entre-deux, entre la psychologie et la spiritualité, d'une certaine façon entre le corps et l'âme, reliés de manière dynamique par une image d'amour. La torture avait complètement perverti ce lien en imprimant une image de haine (de soi). Avec la parole du regard, vous exprimez une parole d'amour qui vient restaurer l'image détruite et restaurer aussi la dynamique de l'être humain, qui, d'après votre pratique,  semble bien être basée sur l'amour. Merci pour cette leçon de maître !
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E
Oui, tu as raison, le sacrifice d'Abraham veut aussi nous faire comprendre que notre conception du Dieu tout-puissant est fausse. Sur l'histoire de la fraternité, nous avons eu un café philosophique passionnant qui portait sur le mythe égyptien La Légende des deux frères. Il tentait de nous montrer que la relation de fraternité est fondamentale. Ce serait à partir d'elle qu'il faut repenser toutes les relations humaines. J'avais été assez convaincu à l'époque. Le mythe oppose un système social basé sur la domination, avec une sorte de généralisation de la fonction paternelle notamment chez les frères aînés, à un autre système basé sur l'égalité des frères. Je continue à penser qu'il y a là une piste de réflexion tout à fait intéressante à condition que l'on se situe dans le symbolique ; à cette condition seulement, l'interdit de l'inceste n'est pas remis en cause ni la dimension désirante du père. ... A suivre...
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C
Oui Etienne, et en conséquence je ne crois pas "en un Dieu, le Père Tout Puissant"; je préfère les dieux des mythes fondateurs parce que la question de la sexualité, c'est-à-dire de l'altérité, n'en est pas exclue, forclose, passée à la trappe. Quant à la "fraternité", ça reste pour moi qque chose d'ambigüe; nous ne sommes pas tous frères et sœurs: il y a la succession des générations et l'interdit de l'inceste; ni mon père, ni ma mère ne sont mes copains; parce que mon père est lui-même un père désirant, un père vivant; à moins que ce ne soit un père mort! Bon, je prends la route pour Milovicé avec Dora et ma 205 de 1992; précipitament, car l'hôpital là-bas s'est trompé de 20 jours et le fils de jean-Louis et de sa compagne Clara devrait naître d'ici lundi.
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E
Charles, j'apprécie bien l'originalité de tes propos. Je pense d'abord à ton expression : "Donner ce que je n'ai pas". Tu me fais comprendre que pour donner ce que je n'ai pas, il me faut créer. Quelle belle invitation ! En arriver à ce point où donner, c'est créer...Intéressante aussi pour moi ton exemple des aspérules que je laisse sur le terrain pour favoriser la vie avec la pollinisation. Je mets un frein à mon appétit pour laisser un espace à l'aspérule qui doit se reproduire. Je me désapproprie pour offrir un espace à la vie. Dans le cas d'Abraham, je peux parler avec bonheur d'un espace préservé, d'un espace désapproprié. En même temps, personnellement je n'évacuerais pas l'idée de sacrifice car il faut réellement sacrifier sa toute-puissance pour arriver à l'espace désapproprié de la fraternité. S'il reste bien père, Abraham devient aussi le frère de son fils Isaac, faisant référence à un autre Père, qui, dans la foi, fait de tous les hommes des frères. C'est donc bien de l'identité de l'homme dont il s'agit aussi dans le texte : un frère qui n'a pas à exercer sa toute-puissance sur l'autre frère. Et s'il y a révélation d'une nouvelle identité de Dieu, c'est peut-être bien aussi celle de Frère sans pourtant évacuer la Paternité... Dieu deviendrait le Frère des hommes...
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C
Je n'étais pas sur le "grand écran" pour revoir le film Dogville qu'analyse si bien Jacques Desombes ; j'ai juste retenu son expression: "cette communauté sans dehors". Non, j'étais dans la menuiserie -qui est une sorte de "petit écran" (menue huisserie)- à faire des coffrets pour les flacons d'huiles essentielles, un socle pour un prochain mandala et des tabourets pour la méditation, tout cela qui est tout simplement "donner ce que je n'ai pas": la demande des un(e)s et des autres.Etienne, ton texte sur le sacrifice d'Abraham, j'y pensais ce matin en allant cueillir en montagne l'asperule en fleurs (dite "odorante" parce qu'on en fait le vin de mai et des tisanes; elle parfume aussi les poissons. Quand on cueille des fleurs, j'ai appris à ne pas les cueillir toutes, à en laisser quelques- unes, ne serait-ce que pour la pollinisation, une façon de dire merci à ces jolies petites fleurs blanches. C'est comme ça aussi que je comprends le sacrifice d'Abraham: non pas un espace "sacrifié" mais un espace préservé, désapproprié dans le même temps où je me l'approprie, futur tout autant qu'il m'est "présent"; car le "sacrifice d'Abraham",ce n'est pas le sacrifice d'Isaac, c'est bien son interrogation à lui Abraham; notre attention n'est pas attirée par le spectacle des "victimes" dont les média nous abreuvent chaque jour, mais tirée vers la question, essentielle pour Abraham, vitale, qui es-tu? Et par conséquent qui est ton Dieu? Quelle est ton identité? Et si c'est une "identité nationale", l'historien Gérard Noiriel, dans un poche pour 12€ "À quoi sert l'identité nationale"nous fait une analyse très actuelle qui pourrait illustrer celle de Jacques et que je résume ainsi: à créer une "communauté sans dehors"!!
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Y
Merci à Jacques  Besombes pour sa réponse. mon commentaire pouvait prêter à confusion; je voulais dire que m'appuyer sur  son analyse pour faire un commentaire me paraissait risquer de manquer de respect pour le film en l'utilisant comme un prétexte à avancer mes idées, vu que je n'ai pas vu le film. je ne mettais nullement en cause la probité et l'ouverture de son analyse.Pour en revenir au fond, je pense qu'un certain nombre de points restent, et c'est normal,  discutés dans une certaine ambiguité, voir un certain non dit; c'est l'occasion pour le blog de rebondir sans concessions, comme lui-même le propose et comme le souhaite Etienne. Yvon 
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E
Excuse-moi, Jacques, je n'avais pas repéré cette partie de ton texte sur l'e-mail que tu m'as envoyé. En fait, cela n'a pas de réelle importance. Je laisse à Yvon et à Pierre le soin de répondre pour la partie qui les intéresse. Quant à moi, je persiste à penser que la colère est une forme de violence, même si elle est justifiée. Par ailleurs, pour les éléments constitutifs de l'homme, il y a bien d'autres choses que la violence : c'est vrai que le désir est extrêmement important et, pour moi, il est fondamentalement couplé avec la violence (le désir/violence est une structure symbolique essentielle). Mais est-ce que l'envie est constitutive de l'homme ? Je n'en sais rien. Elle joue effectivement un grand rôle, bien connu en psychanalyse. Il en va de même pour la peur de la mort. Ce sont deux thèmes que nous pourrions aborder avec profit sur le blog.
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J
"La discussion sur le blog a repris. Bonne nouvelle. J’apprécie particulièrement l’intervention d’Yvon qui conduit à poser enfin deux questions que j’attendais impatiemment :<br /> 1/ La première, contingente, en ce qui concerne DOGVILLE, c’est celle de voir ou de ne pas avoir vu le film. C’est vrai qu’il n’est pas possible d’en parler correctement sans l’avoir vu. Ma proposition n’était nullement une analyse, juste l’expression de ce que j’ai ressenti en le voyant. Elle visait essentiellement à provoquer un dialogue, soit avec des intervenants qui avaient vu le film et l’avaient ou non apprécié, soit donner envie à d’autres de le voir pour pouvoir en parler. Lorsque je l’ai vu, j’ai été bouleversé et il m’a beaucoup manqué de ne pouvoir partager avec des amis ce que je ressentais. Je propose donc à ceux que cela intéresse et à Yvon en premier lieu, de leur prêter le DVD de ce film afin de pouvoir mieux le connaître (mais attention, il dure trois heures et on ne s’amuse guère). D’autre part, je ne crois pas que le fait d’ouvrir plusieurs interprétations conduise à un manque de respect pour l’œuvre, au contraire. Il me semble que c’est l’intérêt d’un film de présenter un éventail de visions, voire d’interprétations, qui correspond mieux à la vie qu’une explication unique forcément plus limitée et peut-être orientée. Je préfère agir en « ouvreur de pistes » même si elles sont contestables et pas orthodoxes plutôt qu’être «vendeur de certitude ».<br /> 2/ La seconde question, plus centrale, est celle de savoir si l’on considère la mort du Christ comme un sacrifice ou ainsi que le fait Girard, comme l’abolition de cette pratique. Je crois que c’est important et le tableau de Chagall illustrant le texte peut entraîner effectivement une confusion. Autrement dit, si l’épisode du sacrifice d’Abraham est une étape importante, l’Evangile, je crois, est une découverte/révolution inouïe et décisive, il n’y pas de commune mesure. Je remercie, aussi Pierre Dutertre d’avoir introduit dans cet échange théorique un peu de la réalité de la vie. Peut-on, comme tu le fais Etienne, passer aussi facilement de la  "colère » à la « violence » ? Ce n’est pas du tout la même chose. D’ailleurs, en fait d’élément « constitutif » de l’homme, au-delà de la violence qui n’est peut-être qu’un véhicule aux formes si variées, ne faudrait-il pas chercher le rôle de l’envie, du désir et au-delà même celui de la conjuration de la grande peur : celle de mourir ? "
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E
Je pense que la pensée mythique n'est pas si loin de ta démarche. Elle n'a rien à voir avec une pensée trop cérébrale. Le mythe du sacrifice d'Abraham nous fait comprendre que c'est en soi qu'est le problème et non pas d'abord dans l'autre. Il fait prendre conscience de sa toute-puissance et nous montre le chemin de s'en défaire par le sacrifice. C'est vrai que cette notion de sacrifice nous est devenue étrangère et pourtant elle est à la base de notre humanisation. Le sacrifice a pour but d'introduire le manque en soi pour faire sa place à l'autre. Mais c'est vrai qu'il y a d'autres horizons et tu as raison de suivre le tien parce qu'il prend plus en compte la dimension corporelle. Lorsqu'on pousse suffisamment la voie choisie on finit toujours par rencontrer l'homme. Si j'avais un conseil à te donner ce serait celui-ci : rapproche-toi de plus en plus de la pratique et de la pensée chinoise et c'est ainsi que tu deviendras un homme (puisqu'on a tous à le devenir). Les Egyptiens le pensaient pour eux-mêmes. Ils définissaient l'homme comme celui qui est capable de jouer avec la mort pour faire gagner la vie. Là était toute leur recherche...
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J
De retour d'un voyage épique à Pont à Mousson, "la capitale mondiale de la bouche d'égout", je tente de répondre aussi positivement que possible aux échanges lus sur la deuxième partie du blog. En tout cas, bravo pour l'efficacité de la relance ! Hors blog et très spontanément je te dirais que je crois ta recherche extrêmement légitime et qu'elle devrait être féconde ; il n'y a pas lieu de se décourager. Mais les outils purement intellectuels et cérébraux dont nous disposons dans notre atelier occidental traditionnel, s'ils ont été efficaces pour la conquête du monde, sont assez inadaptés à exprimer l'indicible nécessité du "détachement", la "maîtrise de l'Ego", l'acceptation du  "changement perpétuel", l'addition géométrique de l'inné et de l'acquis, la relativité des choses et notre propre impermanence, comme l'évolution et la nouveauté du monde d'ajourd'hui. Lao Tse disait en substance : "mon enseignement est simple, mais personne ne l'entend". Oui, c'est sur soi-même qu'il faut travailler, mais le débat conduit chacun à accrocher/achopper sur un point en oubliant le contexte, nous entraînant nous même à ferrailler et nous agripper sur ce point au lieu de rester fidèle et attentif au principal. C'est pour tout cela que je pratique le Tai Ji Quan, tout en étudiant autant que je le peux la pensée chinoise qui y correspond.
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E
La folie meurtrière au RuwandaImmaculée Ilibagiza, une jeune femme Tutsi, qui a échappé de justesse au génocide du Ruwanda nous décrit une scène de folie quotidienne avec des gens ordinaires, des voisins ou des amis d'hier. Son livre Miraculée est déjà paru à 250 000 exemplaires aux éditions "J'ai lu". Elle travaille aujourd'hui aux Nations Unies à New York."Des centaines de personnes entouraient la maison (où nous étions cachées), la plupart habillés comme des diables, portant des jupes en écorces d'arbres et des chemises de feuilles de bananes séchées. Certains avaient même des cornes attachées à leurs têtes. En dépit de leurs costumes démoniaques, leurs visages étaient aisément reconnaissables et il y avait le meurtre dans leurs yeux.Ils criaient de joie et braillaient. Ils sautaient dans tous les sens, faisant tournoyer leurs lances, machettes et couteaux dans les airs. Ils chantaient un effrayant chant de génocide tout en exécutant une danse de mort : "Tuez-les, tuez-les tous ; tuez les grands et tuez les petits ! Tuez les vieux et tuez les jeunes..., un bébé serpent, c'est toujours un serpent, tuez-le aussi, que personne ne s'échappe ! Tuez-les, tuez-les, tuez-les tous !"Ce n'étaient pas des soldats qui chantaient, ni des miliciens entraînés qui nous tourmentaient depuis des jours. Non, c'étaient mes voisins, des gens avec qui j'avais grandi et avec qui j'étais allée à l'école - certains étaient même venus dîner chez nous.J'aperçus Kananga, un jeune homme que je connaissais depuis l'enfance. Il avait laissé tomber le collège et mon père avait essayé de l'aider à se ressaisir. Je vis Philip, un jeune homme trop timide pour regarder quiconque dans les yeux mais qui maintenant avait l'air comme chez lui dans ce groupe de tueurs. A l'avant de la bande, je pouvais distinguer deux enseignants locaux, amis de mon frère Damascène. Je reconnus des dizaines de notables de Mataba dans la foule, tous dans un état de frénésie meurtrière, tempêtant et en appelant à verser le sang tutsi. Les tueurs qui menaient le groupe pénétrèrent dans la maison du pasteur. Soudain, on aurait dit que les chants venaient de partout." Le basculement dans la violence meurtrière et mimétique peut nous atteindre tous. Pour faire face à un déchaînement semblable, Moïse avait imaginé de dresser un grand étendard avec un serpent d'airain. Lorsque quelqu'un était pris de folie meurtrière, il devait regarder l'étendard; il sortait alors de son délire de mort car il pouvait intégrer en lui la violence qu'il projetait sur les autres... Il avait compris que le serpent était en chacun et que mieux valait l'assumer plutôt que de le refouler... Il lui appartiendrait alors de faire en soi la place de l'autre au lieu de le détruire.                                  
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E
Ta réponse n'est pas modeste surtout dans la mesure où tu en repères les traces et les effets au coeur de ta vie de tous les jours. Le problème n'est pas, me semble-t-il, de la réfréner mais de l'intégrer car elle est aussi en toi, en sacrifiant ta fierté et peut-être une certaine forrme de toute-puissance. Ce n'est pas la violence des autres qu'il faut d'abord intégrer mais la sienne propre (exaspération, rivalité, envie de se venger, rancoeur, colère...). Après on devient libre par rapport à la violence parce qu'on a changé de niveau. Mais ce n'est que mon point de vue...
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J
Voici ma modeste contribution: je n'ai pas vu le film "Dogeville" mais je retiens la conclusion finale (4ème niveau) de J. Besombes, qui me semble être une évidence.Le mythe d'ABRAHAM m'apprend que la violence est constitutive de l'homme, que, maintenue par les convenances, la culture, les croyances religieuses ou autres, elle est toujours prête à émerger. En avoir conscience et apprendre à la réfréner est donc une tâche permanente qui doit se renouveler de génération en génération et tout au long de sa vie.Il me semble que ce mythe m'aide à acquérir la sagesse qui va me permettre de déceler les potentialités de vie qui émanent, dans mon existence, des violences et des ruptures inévitables ou acceptées volontairement ou à contre coeur.
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E
A Daniel OllivierJe vous laisse mon numéro de téléphone pour que nous puissions prendre rendez-vous : 04 72 07 09 52. Je me souviens très bien de vous. Vous m'introduisez dans un domaine que je connais un peu mais que je ne maîtrise pas. Je suis encore peu familier de la kabbale, mais je ne renonce pas à m'initier un tant soit peu. Comme vous l'avez peut-être vu, d'après les commentaires, le texte du sacrifice d'Abraham est difficile et suscite beaucoup de retenue par ne pas dire plus. L'épreuve fait toujours peur, surtout lorque la violence est évoquée. Et pourtant ce texte nous aide à faire un pas décisif puisqu'il nous montre le nécessaire passage au symbolique. Le sacrifice n'est pas meurtrier mais il doit m'atteindre personnellement comme il l'a fait pour Abraham, pour que je sacrifie ma toute-puissance, source de destruction de l'autre...Il y aurait tellement à dire ... A bientôt !
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D
En lisant les differeentes interventions j'ai vu que l'on s'interrogeait sur le sort d'isaac. J'ai trouvé un commentaire dans " premiere heure" d'Erri de Luca, page 25 au Seuil, collection Rivages.En  effet l'auteur constate qu'il faut attendre genese 24 pour entendre parler à nouveau d'Isaac, precisement à propos de Rika. mais curieusement Genese 22 s'acheve par une insertion inattendue sur la genealogie du frere d'Abraham ou Rivka est nommée. Cette insertion peut s'interpreter comme l'annonce de l'union d'isaac et Rivka. En d'autres terme l'aquedha permet à Issac d'acceder au statu d'adulte et de futur époux et pére. Mais curieusement le gemetria hebraïque vient àl'appui de cette these, bien exposée par les commentaires d'Etienne.En effet, la valeur numerique d'Isaac est 208 et celle de Rivka, 307. La difference est 99.Or il est dit:" Moi et l'enfant nous irons jusqu'ici pour adorer elohim" La torah utilise une formule inhabituelle pour rendre jusqu'ici. Comme toujours les formes inhabituelles doivent attirer l'attention. En effet la locution jusqu'ici est rendue par Ad co. or la valeur numerique de ad co est precisement 99.Le texte hebraïque nous dit bien que c'est par le passage par l'épreuve de ce ici qu'isaac va recvoir la valeur ajoutée pour arriver à Rivka.
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D
Nous nous sommes rencontrés le soir du 20 mai. Je devais vous communiquer des travaux sur Abraham. Comment faire pratiquement?
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E
Si j'ai pu t'éclairer un peu j'en suis ravi. Ce que je te propose c'est que nous fassions ensemble un blog sur le sacrifice. Ce pourrait être en août ou en septembre. C'est pour moi une notion anthropologique trop importante pour que nous la laissions dans l'ombre et la cantonnions dans le religieux. Je pense, contrairement à Girard, que c'est le sacrifice qui fait de nous des hommes. Mais il faut creuser un peu, ce que nous pourrons faire ensemble, si tu l'acceptes.
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Y
Merci pour tes réponses qui ont le mérite de la clarté et de la  concision. Je ne veux pas encombrer le blog avec mes interventions. Je  dirai brièvement que ce que tu dis sur le sacrifice m'interroge, même  si c'est trop court pour me satisfaire pleinement. Si le mot n'a pas  qu'un sens religieux, peut-être pourrait-on l'aborder un jour. J'ai  commis une impardonnable erreur, puisque le sacrifice d'Abraham est  repris aujourd'hui par les musulmans! Il est donc toujours d'actualité. Pour les autres points que tu abordes, je ne suis pas sûr d'être  d'accord sur tout. Je dois un peu ruminer ça.
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E
Je vais essayer de reprendre quelques questions que tu poses et dire comment je vois les choses.Ce qu'est le sacrificePour moi, le sacrifice n'est pas une question ancienne ou démodée. Il est au contraire très actuel. Il est une manière d'accepter ses limites et nous permet ainsi d'échapper à la toute-puissance. C'est un peu le pont aux ânes dans dans la progression de l'homme. Il a aussi une autre fonction essentielle dans la construction du désir : il permet d'introduire le manque précisément pour faire vivre le désir. Sa dimension est essentiellement symbolique : autrement dit , s'il passe par des gestes ou des rites matériels c'est pour atteindre le niveau psychologique ou spirituel. Ce passage par le symbolique est bien marqué dans le sacrifice d'Abraham.Le sacrifice d'IsaacDans le texte, il n'y a pas de sacrifice d'Isaac. On est passé du sacrifice d'Isaac au sacrifice d'Abraham. La patriarche a été amené à sacrifier sa toute-puissance au lieu de sacrifier Isaac lui-même.Le parallèle entre le sacrifice du Christ et le sacrifice d'IsaacIl n'y en a aucun car Isaac n'a pas été sacrifié.Le parallèle entre le sacrifice du Christ et le sacrifice d'AbrahamD'une part, en acceptant la mort, le Christ a sacrifié sa toute-puissance. Mais ce n'est pas là le plus important. C'est la figure du Père qui a été complètement transformée : il n'est pas le Dieu tout-puissant au sens où nous l'entendons. Il n'a pas voulu intervenir pour modifier le déroulement des événements. Peut-être est-ce une manière de nous faire comprendre que le Père Lui-même devient humain. Fondamentalement pourtant, la mort du Christ n'est pas un sacrificeElle n'est pas le prix à payer pour le salut des hommes. Elle accomplit la démarche humaine en  intégrant la force de mort qui est en soi, en assumant pleinement la mort, telle qu'elle se présente. C'est alors que cette force de mort vient féconder la vie en devenant force de résurrection. Plus modestement, en ce qui nous concerne, dans la vie de tous les jours, une telle intégration permettra notre renaissance. Ainsi le Christ ne vient pas payer au Père le prix de notre rachat, il trace pour nous une voie qui doit nous conduire à la vie éternelle. Entre le sacrifice d'Abraham et aujourd'huiPour moi, il n'y a pas de fossé. Au contraire il y a parfaite continuité. Le sacrifice d'Abraham nous a introduit dans la modernité en nous révélant la dimension symbolique du sacrifice. Sous cette dimension, il est une nécessité pour l'homme car il permet l'accomplissement de notre humanité.
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Y
Mon courriel était un mot d'excuse plutôt qu'une contribution; mais ça  ne me gène pas que tu l'ais mis sur le blog. Je veux bien céder à ton  amicale insistance.Ce qui m'a  interpellé, ce ne sont pas tant vos deux textes que la  reproduction que tu y as joint du tableau de Chagall, qui fait un  parallèle entre le sacrifice d'Abraham et la mort du Christ, et je me  suis dit: Dieu aurait-il changé d'idée? n'a-til pas fallu finalement  qu'il y ait mort d'homme ou sacrifice humain (?)pour qu'une alliance  définitive, une deuxième alliance voie le jour. Le salut pour  l'humanité rend-il inéluctable le passage par l'assassinat? Redoutable  question aussi bien sur Dieu que sur l'entêtement de l'homme et sur  la violence nécessaire, et que veut dire nécessaire ? Et qu'est-ce qui est nécessaire? La violence, l'acceptation de la nécessité de la  violence, l'acceptation sinon du passage à l'acte de la violence, du  moins l'acceptation d'être victime de la violence jusqu'à en mourir?  Vue comme ça la violence nous renvoit à la crudité nécessaire de la  violence mauvaise. Je me pose la question et pour le moment ne vois  guère comment y répondre, tant la réponse positive me paraît  désespérante, surtout posée ainsi en terme de principe. Les religions  honorent leurs martyrs qui remplissent nos calendriers...et les geoles  de Guatanamoro, mais ceci est une autre histoire.<br /> Mais peut-être le parallèle que fait Chagall est-il abusif et nous  entraine-t-il sur un fausse piste. En tout cas dans plusieurs des  commentaires dans le blog, il revient.  Chagall est-il le premier à le  faire? J'ai trop perdu contact avec les textes du Nouveau Testament,  et ça fait longtemps que j'ai perdu mon Vocabulaire de Théologie  Biblique ( je crois que je vais le commander) pour répondre. Je me  rappelle des références au quatrième Isaîe, et j'ai un vague souvenir  de textes très forts de St Paul, mais rien qui me suggère un  rapprochement avec le sacrifice d'Abraham. Excuse-moi de poser des questions et de ne pas aller dans le sens d'une réponse.<br /> Si on veut creuser le parallèle, mon malaise s'accentue. partons du  sacrifié, d'un côté Issac, de l'autre le Christ. Dans les deux cas le  Fils unique. Dans le texte le plus ancien, le sacrificateur est le  père. Et dans l'autre? En n'oubliant pas que, même en strict  théologie, Père et Fils sont des termes anthropocentriques. Certes  celui qui met à mort, ce n'est pas le Père, mais ce sont les  responsables religieux (politico-religieux) du peuple juif. Mais le  parallèle s'effondre, car ils ne sacrifient rien; au contraire, ils se  débarrassent d'un empêcheur de collaborer tranquilles sous un prétexte religieux.<br /> Le sacrifice d'Abraham renvoit à un contexte assez abominable de  sacrifices humains dans les religions d'alors. Ce récit m'interroge  sans trop susciter mon enthousiasme. Il ne remet pas en cause la religiosité des sacrifices, non humains certes, et ceux-ci ont  continué dans le judaïsme et d'autres religions. Il a disparu de la  pratique et même du vocabulaire des religions modernes, sauf peut-être  uniquement dans l'expression "sacrifice eucharistique", exception sur  la signification de laquelle, il conviendrait de méditer. Qu'est-ce  que c'est que ce Dieu qui a besoin de sacrifices, et pour quoi faire?  Dans certains cultes, c'était pour nourrir le dieu, piètre dieu  incapable de se débrouiller tout seul. Ou parce que le fumet des  sacrifices montait agréablement à ses narines. Agréable hommage. Si le  dieu n'était pas créateur, on comprend. Mais s'il  était créateur, en  quoi cela pouvait-il lui être agréable sinon comme une espèce de TVA?  Ou comme une expression de la reconnaissance des croyants, retour sur  investissement. Si cette idée de sacrifice est une invention humaine,  à quelle image de Dieu correspond-elle? Geste de confiance absolue,  surtout dans le cas d'Abraham, puisque c'est son seul fils et qu'il  garde la certitude,( comment?, Dieu seul le sait), d'une nombreuse  descendance. Témoignage en général de la certitude de l'homme que tous  ses biens sont dons des dieux, et que la destruction d'une partie  symbolique des biens les plus chers est le meilleur moyen d'en  témoigner. Et de s'assurer de la continuité de la bienveillance divine. Qu'est-ce qu'on accepte aujourd'hui de sacrifier (en le détruisant)  dans une démarche religieuse. A part les cierges qu'on brûle à Lourdes  ou ailleurs, et là encore la symbolique est toute différente.  Certaines religions pratiquent des libations. On donne de l'argent aux églises, mais ce n'est pas perdu pour tout le monde comme les 500  francs brûlés par Gainsbourg sur un plateau de télé. L'argent versé  sert au fonctionnement de la religion: salaires, biens meubles et  immeubles, et tout aussi souvent à la glorification locale (St pierre  de Rome vg) ou personnelle du donateur. Dans l'Islam on se prive  d'argent par l'aumône, un des cinq piliers de l'Islam et cela me  paraît une authentique et magnifique expression de la foi.<br /> Aujourd'hui, on vit sans sacrifices religieux. Le sacrifice d'Abraham  ( comme on dit) était une étape. Comment est-on passer de cette étape  à aujourd'hui, vaste question qui dépasse le sujet du blog, lequel  n'est d'ailleurs pas à thématique religieuse. Pour terminer, voilà comment je lis le texte que tu proposes à notre  réflexion. C'est peut-être rustique et n'a rien à voir avec les  analyses que tu proposes, mais c 'est comme ça que je le vois, et je  m'en tiens là. Car le reste, si intéressant soit-il, me semble avoir  une relation trop distendue avec ce texte. Que les thèmes abordés soient importants voire urgents, je n'en disconviens pas et  participerai volontiers au débat. Amicalement, Yvon<br />  <br />  <br />  
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E
Merci Yvon de ta contribution de qualité. Je vois que tu fais toujours les choses très sérieusement : l'astronomie, internet, la philosophie. Tu ne ménages pas ta peine et je sais que tes efforts portent des fruits. J'aime bien ta formule à propos de la philosophie : rester soi-même tout en étant bousculé. L'étude des mythes m'a bien ancré dans l'esprit que le sujet se construit à partir de structures symboliques qui allient des contraires. Personnellement si je devais parler de philosophie, j'insisterai précisément sur la construction du sujet. C'est un peu l'horizon à partir duquel il faut tout repenser, y compris et surtout la morale.Sur le film, je ne dirai rien. Jacques Besombes, directement concerné, saura bien répondre lui-même à tes observations. En ce qui concerne le sacrifice d'Abraham, j'entends bien un certain nombre de tes observations que je me fais depuis longtemps, y compris sous la pression de personnes qui participent au café philosophique. C'est vrai que, pour moi, le problème de la violence est un problème central aujourd'hui. Il l'a d'ailleurs été à toutes les époques et il me semble qu'il n'a jamais été vraiment résolu. La non-violence est un effort louable, mais, dans de nombreux cas, elle me laisse insatisfait pour la bonne raison qu'elle ne prend pas suffisamment la violence à bras le corps. Mais tout dépend évidemment des auteurs et des personnages politiques. Je me sens en effet petit pour aller critiquer des hommes comme Gandhi ou Martin Luther King. Pour résumer, je ressens une très grande urgence à intégrer la violence pour en faire une force de vie et il est bien évident qu'en ce domaine j'ai tendance à me répéter et à saisir dans les textes ce qui peut aller dans mon sens. Il n'en reste pas moins que dans les textes mythiques ou plus simplement symboliques, la violence est partout présente. Dans les mythes égyptiens, elle est le problème principal, surtout sous la forme du désordre, rreprésenté par Seth. Dans les mythes grecs, c'est plutôt le problème du désir qui s'impose mais la violence n'est jamais très loin. Dans l'Ancien Testament, on la voit apparaître, dès les premiers textes, notamment avec Caïn et Abel et même dans le texte de la chute, elle se manifeste avec le manque nécessaire à l'évolution de l'homme. A l'intérieur du  christianisme elle prend une dimension centrale avec la mort du Christ et l'eucharistie. Tout cela pour dire que je ne l'invente pas car elle est constamment là. Maintenant c'est vrai qu'un texte symbolique n'est jamais totalement interprété. Il n'y a pas qu'un message et il faut savoir se faire tout petit par rapport aux grands textes. J'ai bien conscience qu'il est toujours possible de se projeter dans ce qui est écrit. Mais il y a une parade qui tient à la méthode. C'est dans cet esprit que je suis un atelier de sémiotique depuis une dizaine d'années. J'ai aussi modestement tenté de proposer mon propre modèle. On peut le critiquer mais il est efficace et permet d' introduire un minimum d'objectivité dans la lecture, même s'il n'est pas parfait. Aussi je suis un peu étonné que tu passes allégrement sur l'interprétation que je propose du sacrifice d'Abraham. Ce n'est pas parce qu'il y a un risque de dérive qu'il ne contient pas une part de vérité que l'on peut discuter. Personnellement, je trouve ce texte admirable et il faut croire que je n'arrive pas à faire partager mon admiration. C'est vrai, comme tu le dis, qu'il faut savoir se placer sur le chemin de l'autre mais je vais te rétorquer avec un peu de malice que cette exigence vaut aussi pour le lecteur lui-même. Le travail n'est pas fini avec la critique de la forme. De mon point de vue, il faut aller jusqu'à la révélation du sens et d'une forme de vérité. C'est maintenant là-dessus que je t'attends. C'est, pour moi, une manière de te stimuler pour que nous puissions aller plus loin. Mais je n'oublie pas pour autant des remarques justement critiques.
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E
J'ai bien apprécié tes réactions que j'ai mises sur ce blog, mais, comme il se fait tard, j'y répondrai demain matin. Une simple petite remarque, ce soir : en prenant des interlocuteurs, je suis obligé de m'adapter à eux, même si cela fait répétition par rapport à ce qui a déjà été dit...<br />  <br /> A demain !
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Y
Voilà un moment que je ne suis pas intervenu sur le blog. Question  d'emploi du temps ou de priorités personnelles qui ne sont pas  forcément de vraies priorités. Rythmes de la vie. J'ai pas mal investi  dans le renouvellement de mon matériel informatique: ordinateur, imprimante, scanner, appareil photo ce mois ci, plus  quelques  logiciels à apprivoiser. Entre les orages, il faut donner un coup de  collier au jardin. l'association remet sur le chantier son projet  associatif, et ce n 'est pas évident. l'alpha continue, un peu cahin-caha en ce mois de juin, sauf en ce qui concerne mes élèves, fort  motivées. Je me suis mis à lire de front quelques uns des bouquins de  philo de la collection du Monde, et je m'aperçois que ce n'est pas si  facile. Comprendre au fil de la lecture, passe encore, mais arriver à  extraire la substantifique moelle propre à chaque démarche, c'est  autre chose, même en s'aidant des introductions ou d'ouvrages généraux  sur la philo, comme "L'univers philosophique" de la collection  "Encyclopédie philosophique universelle" ou tel ou tel site sur  Internet. Philosopher, ce n'est pas grappiller à droite, à gauche, ni  faire un patchwork, ni faire une synthèse; c'est plutôt faire son  miel, en écoutant du mieux possible, s'interrogeant, en restant soi-même tout en essayant d'être bousculé.Pour en revenir au blog, tu sembles regretter un manque de réaction  aux textes proposés. J'ai moi-même rencontré quelques difficultés.  Concernant d'abord le texte sur le film. C'est difficile de se  prononcer sur un commentaire sans avoir vu le film. Et se procurer le  film est une démarche sans proportions avec une réponse à un texte  proposé. C'est beaucoup demander au lecteur. Rien évidemment ne  remplace le fait d'être confronté soi-même à l'image. Un film est  d'abord un film avant d'être un objet de thème ou de thèse. Et un  commentaire est un tout autre genre, surtout dans le cadre d'un blog,  lequel oriente le commentaire. Il y a finalement trop de distance avec  l'objet initial. Et la volonté de proposer plusieurs significations a  encore accru ma perplexité. A moins d'utiliser le film ou son  commentaire comme un simple prétexte, ce que je trouve un peu pas très  respectueux, avec le risque d'en profiter sans apporter quelque chose  de vraiment nouveau et intéressant. Je m'aperçois que je j'ai tendance à retomber dans mes dadas, aussi  dans mes réaction au blog. Ca doit être l'âge. C'est pour ça que  j'essaie de me coltiner quelques bons auteurs en m'essayant à un peu  de naïveté. La philosophie est un domaine essentiel et un vaste  domaine. Tous ceux qui ont essayé d'approcher la question du sens et  qui ont laissé un nom, l'ont fait dans une tradition et dans la  nouveauté d'une situation ou d'une approche. L'originalité ou la  profondeur de leur démarche nous interroge encore, même s'il nous faut  marquer des points de désaccord ou aller plus loin. Ces grands esprits  ont su nous questionner encore aujourd'hui, même si aucun d'entre eux  n'a laissé une réponse définitive, sans doute parce qu'il n'y en a  pas, ni d'univoque ni d'universelle; mais je m'égare. Interroger et se  laisser interroger, that is the question....<br /> Ton texte sur le sacrifice d'Abraham ( comme on dit curieusement) m'a  laissé un peu perplexe, quelle que soit la profondeur de tes  commentaires. J'ai eu un peu l'impression que tu voyais ce texte comme  une illustration , une de plus, du thème qui te tiens à coeur  du  dialogue (pour faire bref) entre violence et parole. Quel que soit le  caractère louable de la démarche, et la certitude de l'importance de  défendre bec et ongle cette conviction,nN'y a-t-il pas un risque par  rapport à la lecture des mythes, quoiqu'il en soit de la volonté  d'ouverture et d'approfondissement, d'une certaine réduction, une  sorte de "tirer un peu la couverture à soi". Je ne saurais dire quelle  est la fine pointe de ce texte pour celui qui l'a écrit ou réécrit à  une certaine période et dans un certain contexte, et d'ailleurs le  peut-on vraiment; on doit essayer quand même, sinon, on risque de  passer à côté de la fine pointe du message pour nous aujourd'hui.  Après, on peut certainement s'appuyer sut tel ou tel élément  particulier , symbolique ou non, du récit; on peut en tirer parti pour  y apercevoir tel ou tel enseignement latent; bon, mais un mythe n'est  pas une fumerie d'opium, pour me permettre une plaisanterie vaseuse.  N'y a-t-il pas un risque supplémentaire d'appauvrissement  du débat du  fait de la répétition de certitudes formulées d'une manière assez  proche d'un texte à l'autre; c'est la question de tourner autour de la  réponse sans peut-être la nommer, comme un point focal à l'horizon  dont chacun s'approche bien évidemment à partir de points de départs  totalement différents, mais dont le chemin propre se trouve éclairé.  Pour que l'éclairage éclaire,il faut qu'il se trouve sur le chemin  même et à l'endroit même de l'autre. Comme disaient rétrospectivement  les disciples d'Emmaûs: "Notre coeur n'était-il pas brulant...Excuse ces propos un peu décousu et vois-y  une toute amicale  contribution.
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E
Je souris en voyant la colère de Pierre se déchaîner ! Si ce n'est pas une forme de violence, je ne sais pas ce que c'est. Vous semblez vouloir l'éliminer et elle finit par vous jouer des tours. Non, mais là, je m'amuse un peu. Je suis trop respectueux du travail que vous faites avec ceux qui ont subi la violence des autres pour ne pas être attentif à ce que vous dites. Oui, l'utilisation des enfants pour en faire des guerriers est une monstruosité.Oui, je crois que des êtres pervers ont contribué à inverser le processus d'humanisation chez des gens fragiles et sans défense.Oui, je crois que la torture a détruit l'altérité de l'autre.Mais, en même temps, je n'identifie pas la violence au mal. Elle est une force qui peut féconder la vie comme elle peut la détruire. Aussi sommes-nous mis devant un choix : la mettre au service de la vie ou la mettre au service de la mort. Bien sûr, elle est faite pour être au service de la vie, mais les jeux ne sont pas faits au départ et notre liberté  est engagée dans l'orientation que nous allons prendre. Contrairement  à vous, je pense effectivement que "l'homme ne peut échapper à la violence, qui le constitue dès l'origine". Que je le veuille ou non, la force de mort est présente en moi et je dois l'intégrer sinon elle tuera au lieu de me faire vivre et de faire vivre l'autre. Une grosse partie du problème est là. Il faut lintégrer cette force pour la faire jouer autrement, c'est-à-dire pour la symboliser comme Abraham ; il est d'abord prêt à sacrifier réellement son fils et il finit par comprendre  que le problème n'est pas chez son fils, mais à l'intérieur de lui-même. Ce n'est pas son fils qu'il doit sacrifier mais sa propre toute-puissance. La liberté d'Isaac, sa capacité d'entrer dans la parole et sa possibilité d'être père à son tour sont à ce prix.Autrement dit, c'est le cheminement de la violence et sa symbolisation qui vont permettre l'humanisation de l'homme et notamment la naissance de la parole. Sans la violence d'origine, il ne pourrait y avoir de parole car la parole ne semble être rien d'autre que de la violence symbolisée. Cela étant dit, il faut bien reconnaître qu'il y a violence et violence :- La violence d'origine n'est ni bonne ni mauvaise- La violence tournée vers la mort au lieu d'être tournée vers la vie est une catastrophe- Par contre la violence qui vient féconder la vie est une bénédiction. Je n'ai pas votre expérience mais je pense qu'avec les enfants soldats une des pistes possibles va consister à faire évoluer la violence tournée vers la mort dans le sens d'une violence qui vient féconder la vie. Votre colère électronique m'a fait sourire car elle était effectivement une violence au service de la vie. En toute amitié même si nous devons encore nous battre !
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P
j'ai pas eu le temps malheureusement le temps de lire tout mais le début m'a mis ... en colère... L’homme ne peut échapper à la violence, qui le constitue dès l’origine.  ce début me fait penser à une connerie que j'ai entendue en donnant une formation a des éducateurs: une psychologue "spécialiste" lui avait récemment expliqué "que les enfants soldats étaient définitivement psychotiques et dangereux après ce qu'ils avaient vu et fait" fin de citation, sur les deux jours de la formation je suis revenu plusieurs fois sur cette affirmation qui me lève le coeur.... et l'éduc a fini par dire "elle était si affirmative que je l'ai crue et je ne comprends pas vous nus dites l'inverse". Donc de fait plus on est violent plus on est cru! La loi du plus fort est la seule qui ait cours et qui soit efficace!?!Que ces soi-disant spécialistes changent de métier, qu'ils aillent vendre des frigos chez Darty, là point d'emotion de voir partir un frigo avec con gélateur et entre con gelés ils seront en bonne compagnie!Je crois vraiment que la violence n'est pas innée mais acquise. Je déséduque tous les jours, j'en suis arrivé avec les formations à essayer de "déformer" les personnes qui me font venir. Merde, les enfants soldats sont des gamins et des gamines à l'enfance volée et qu'on les aide! JP Bemba est arrété en Belgique, j'espère qu'il sera déféré devant la Cour Pénale intenrationale et j'espere que personne n'oubliera de lui cracher au visage tous ces gosses envoyés à la guerre par des adultes qui me revulsent.Je veux croire que l'on peut être fort et gentil. Et en cette fin de semaine difficile merci de me donner l'occasion d'être électroniquement violent!!!! non il devrait y avoir place pour un monde apaisé, c'est bon de réver!   
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E
Je ne crois pas que notre échange ait provoqué la panne du blog. Personnellement, je pense que le texte est trop long, ce qui décourage le lecteur dès le départ. Et puis la violence ne semble pas passer. Je n'ai pas réussi, à travers le sacrifice d'Abraham, à faire apparaître la double exigence : accepter la violence et la faire évoluer en la symbolisant, c'est-à-dire en l'intériorisant et en la faisant passer à un autre niveau. Abraham doit sacrifier son fils non pas en le tuant mais en s'en dessaisissant et en renonçant à exercer sur lui la toute-puissance. Ce n'est pas d'abord l'autre qui est en cause. C'est soi-même comme sujet qu'il faut arriver à transformer pour changer la relation à l'autre. C'est vrai que c'est un peu compliqué. Je suis personnellement navré que nous n'ayons pas réussi à le faire comprendre. Mais l'expérience m'a toujours montré que les choses deviennent intéressantes lorsqu'on butte sur un obstacle...
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J
J'ai constaté comme toi "la panne" sur le blog après notre échange; En est-il la cause, ou bien y a t-il toujours un nombre limité de réactions et nous arrivons systèmatiquement à la fin ? J'ai lu ta tentative de relance. J'étais parti dans une autre direction, à partir de Storytelling bien que le livre me paraisse très surfait, il me semble qu'on peut en tirer quelque chose, mais ce n'est pas aussi directement au sujet de "la violence". Je dois partir pour le week end  et je reprendrai contact en début de semaine prochaine.
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E
Je souhaiterais, comme je l'ai dit, que nous poursuivions la réflexion. Personnellement, je déteste les solutions trop simples, qui ne tiennent pas compte de la complexité des situations. Autant les solutions supposent le renoncement à la toute-puissance de l'Etat, autant la non violence ne suffit pas pour les formuler, en dépit de la bonne conscience qu'elle peut provoquer. Il y a aussi là-dedans de la violence qu'il faut respecter pour la faire évoluer vers la parole. 
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E
Les cercles de silence "migrent" maintenant sur Lyon sans pour autant abandonner la place de Toulouse. Ils posent le problème qui s'est posé à Abraham : la nécessité, pour l'Etat, de sacrifier sa toute-puissance. Cela permettrait d'entrer dans une nouvelle politique basée sur le respect de l'autre et donc le respect de l'étranger sans pour autant renoncer au respect des frontières, qui s'impose à tous si l'on veut  éviter la confusion. Mais la frontière repose sur une dialectique ouverture/fermeture et non pas simplement sur la fermeture ou l'ouverture. Il me semble que c'est dans le respect de ce jeu que les solutions concrètes peuvent être trouvées avec les individus mais aussi avec les autres Etats. En ce sens, la réflexion amorcée pourrait être poursuivie...
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C
<br /> Place des Terreaux<br /> côté sud, en avant des escaliers de l’Hôtel de ville<br /> deuxième mercredi de chaque mois, 19-20h,<br /> cet été : 11 juin ; 9 juillet ; 10 septembre 2008…<br /> Il y a un droit à circuler librement sur la planète<br /> <br /> Nous portons en nous certaines interrogations qui se rattachent au problème de la Migration. Ainsi :- nous savons que le désir ou l’obligation de migrer vers d’autres terres est un constitutif de l’humanité qui a construit notre Histoire. Il en résulte un devoir d'accueillir les personnes ayant mis leur espoir dans le risque de la migration en respectant la dignité de l'homme, les droits humains de base ;- nous savons que les causes des migrations sont multiples, mais nous reconnaissons qu’actuellement le respect d’une économie équitable serait une des premières réponses à apporter. En effet, un commerce mondial juste éviterait la nécessité, pour certains, de quitter leur pays (terre de leurs pères) contre leur gré, pour des raisons économiques. Ces questions migratoires, bien ciblées, entrent dans la réalité lyonnaise. Elles peuvent nous inciter à réfléchir et à agir avec d’autres…Au nom du respect de tout homme, nous espérons :< des conditions de vie qui permettent un bon dialogue donnant à comprendre les raisons de migrer hors de la terre de ses ancêtres.< la recherche d’une politique intelligente de régularisation des étrangers qui sont sur le territoire, c’est-à-dire une politique qui ne soit pas fondée sur la culture de la peur de l’autre, de l’étranger (devenu bouc émissaire), pour des raisons électorales à court terme.< pas de politique du chiffre en matière d'expulsion du territoire :< pas de contrôle d’identité au faciès ;< pas d’arrestation tôt le matin, au pied du lit, ou n’importe quand dans la journée ;< pas d’expulsion détruisant les liens familiaux ;< pas de rétention systématique dans des lieux d’enfermement ;< pas de prolongement de la durée de séjour dans des centres de rétention administratifs.<br />
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E
La colère
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E
Je vois que la parole est en panne. C'est le signe que la violence n'est pas bien passée. Peut-être aussi le texte est-il un peu long et pas assez explicite. Il faudra faire mieux les fois prochaines. Je renvoie au livre de Lytta Basset, "Sainte colère", Labor et Fides, Bayard. Voici ce que dit l'auteure : "Ce livre tente de montrer comment la colère peut structurer la foi. On peut ne jamais finir d'osciller entre pulsion de vie et pulsion de mort, à l'instar de Freud qui se représentatit la vie ainsi : un combat sans fin entre Eros et la mort... Mieux vaudra, pour nous, considérer la colère comme un moteur capable de transformer une énergie potentiellement dévastatrice en cette violence de vie qui accompagne le processus de toute naissance... La colère nous apparaîtra comme un vrai facteur de changement personnel, mobilisant des forces insoupçonnées en vue d'une vie autre que prévu..."
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E
Que te dire Jacques ? Sans doute as-tu en partie raison. Ce texte peut avoir un abord scandaleux, c'est vrai. Mais il nous renvoie à la mentalité d'une époque en fait pas si lointaine. Et nous voyons à partir d'un texte court un changement radical :- Le refus du sacrifice meurtrier- La nécessité d'entrer dans le symbolique- La reconnaissance de sa toute-puissance et la nécessité de s'en défaire- La reconnaissance de l'altérité de l'enfant- L'entrée dans la parole entre le père et le fils- La dénonciation d'une fausse conception d'un Dieu tout-puissant qui demande le sacrifice d'un enfant- La reconnaissance d'un Dieu hors de la toute-puissance dans son rapport avec l'hommePersonnellement je trouve que c'est extraordinaire. Faut-il donner raison à ceux qui ont encore une conception primaire du monde et de l'homme ? Ce sont aux qui vont nous conduire à un monde inhumain. Être humain c'est entrer dans le symbolique. Je n'y peux rien. Ce n'est pas la psychologie moderne, qui nous l'enseigne, c'est une pensée vieille de trois, quatre, cinq, six mille ans. Oui, à une époque, on a eu une vision d'un Dieu sanguinaire, un Dieu construit à l'image de l'homme. Faut-il s'en scandaliser en pensant faussement que c'est là la véritable image de Dieu. Pourquoi ne devrions-nous pas apprendre à lire des textes difficiles ? Je pense personnellement qu'il y a urgence. C'est pourquoi je mets, de mon côté, tant d'attention à pousser en ce sens. C'est bien, de ton côté, que tu nous aies présenté Dogville, brut de décoffrage. Nous voyons ainsi que la violence est toujours là, sous sa face inhumaine. Il faut bien que nous nous coltinions avec elle pour la mettre au service de la Parole... C'est, en tout cas, mon point de vue.
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J
En ce qui concerne les autres commentaires, j'ai noté le premier qui dit son effroi devant Job et Abraham... Ta réponse est nette, mais... Ne faudrait-il pas comme lui, dans un premier temps, le temps de quelques respirations, ressentir l'horreur, l'inhumanité, la cruauté du propos raconté avant de construire ou trouver l'édifice symbolique qui est signifiant, mais conforte trop vite notre sentiment de sécurité d'habitant/mutant du XXI siècle développé, si loin et si protégé de ces temps cruels ? La vision répétée jusqu'à la lassitude des horreurs peintes sur les murs de couvents et autres églises d'Andalousie : moines à la tête tranchée d'une hache, martyrs traversés de flèches ou d'épées, Jean Baptiste décolé à la tête exhibée, sans compter les innombrables représentations du Christ en douleurs et humiliations, rappelle trop cette culture de l'horreur, de l'effroi pour que j'accepte de m'en débarrasser trop vite par un "c'est symbolique" vite dit. Et cette horreur a un sens en elle-même, que son évitement (par la fuite trop rapide vers un symbolique peut-être construit) élude. Autrement dit : à mettre trop vite trop de sens venu de la psychologie moderne nous manquons peut-être quelque chose. Ajoute à cela le spectacle télévisé imposé dans un café d'une corrida minable et sanglante à souhait pendant laquelle un toréro incompétent a raté trois fois son taureau......C'est peut-être là, dans ce quelque chose que je ne voudrais pas manquer situé dans l'entre deux du récit brut reçu et du sens symbolique donné, que je vois la liaison entre ton récit d'Abraham et Dogville. C'est peut-être pour cela que j'ai proposé cette analyse ouverte un peu acrobatique d'un film extrêmement complexe et éroutant/dérangeant et boulersant, cruel et manipulateur, comme un mythe, comme un conte, à défaut d'être intempestif.<br />  
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E
A Eugène et FrançoiseVous m'avez fait douter en ce qui concerne la séparation d'Abraham et d'Isaac et je suis donc retourné voir le texte. Il nous montre la séparation entre les deux personnages principaux et le reste du groupe. D'un côté Abraham et Isaac, de l'autre les deux serviteurs et l'âne. En analysant symboliquement ce passage on voit le champ de conscience se déchirer, ce que confirme une analyse de structure, qui met en vis à vis ce moment précis et la prise de conscience, par Abraham, de sa toute-puissance. Le patriarche a perdu sa dimension corporelle (l'âne) et sa dimension relationnelle (les deux serviteurs). Seule subiste la dimension spirituelle figurée par la montagne. Isaac, de son côté, est transformé en animal objet. Dans un tel contexte, les deux hommes sont réduits à une partie d'eux-mêmes et leur relation est fortement contrariée et vouée à une forme d'abstraction. Je ne dis pas cela pour avoir raison à tout prix car il peut être très utile que vous me rappeliez à plus de rigueur. Mais je voulais souligner qu'au-delà des mots il y a des jeux symboliques entre les différents niveaux du texte. Il n'est pas nécessaire que les mots "séparation", "déchirement" ou "parole" soient exprimés pour que la séparation, le déchirement  et la parole fonctionnent réellement. Mais on peut encore discuter.
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E
Merci de votre réflexion. C'est vrai que j'ai donné au texte une dimension psychologisante, mais sans aller contre le sens principal. Je n'ai pas cherché à faire une exégèse au mot à mot. Souvent, je vous l'accorde, on a intérêt à respecter les mots et à ne pas trop s'en écarter. En parlant de séparation, j'ai voulu traduire l'écartèlement de la conscience et de ses conséquences dans la relation face à une injonction qui n'était pas comprise au départ. A certains moments, il me semble qu'il faut faire éclater le texte pour traduire la réalité qui se cache derrière les mots. En tout cas, c'est un choix que j'ai pris. Là-dessus, on peut en effet discuter de l'opportunité ou de l'inopportunité de le faire.En ce qui concerne le droit à la parole, cela me paraît évident dans le texte. Le sacrifice de la toute-puissance n'a pas d'autre rôle que d'ouvrir à la parole. D'alleurs, c'est tout le jeu du couteau qui, au lieu de tuer, sépare les deux individus pour ouvrir l'espace de la parole. En définitive, on est face à deux choix possibles : celui de l'exégèse, qui reste très proche du texte, et celui de l'interprétation. Les deux sont liés. Personnellement j'ai pris le parti de donner la priorité à l'interprétation mais sans évacuer pour autant l'exégèse. Le reproche que l'on peut me faire est que j'ai pris un peu trop de liberté par rapport à l'exégèse. Mais pas trop quand même.
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E
Nous avons lu attentivement ton article "le sacrifice d'Abraham ou le parcours de la violence", qui nous a bien intéressés car il met en évidence la violence inhérente à l'homme, intégrée, maîtrisée chez Abraham et tournée vers la vie et non plus vers la mort, le "sacrifice de la toute-puissance paternelle" qui libère Isaac et lui ouvre l'avenir.  Mais, à mon avis, tu fais une lecture trop psychologisante et arrangée de ce chapitre 22 de la Genèse. Par exemple, tu interprètes les attitudes des personnages et transformes le dialogue (v.8); c'est vrai que la tension paraît terrible au lecteur, mais, nulle part il n'est écrit qu'Abraham et Isaac " se séparent l'un de l'autre.."Au contraire les répétitions de l'adverbe" uniment" (yahdâw) aux versets 6 et 8, des apostrophes"mon fils" (v.7-8), du terme"père" (v.7) tendraient à prouver le contraire.C'est seulement de manière implicite que le lecteur peut ressentir la scène. Le texte biblique est très sobre ( donc, très ouvert, bien sûr!).  D'autre part, tu parles de la naissance à la parole d'Isaac " le fils acquiert le droit à la parole". C'est sûr que dans ce passage (v.11à 18), la Parole (et le Voir v.14) est extrêmement importante, mais au verset 19, il n'est plus question que d'Abraham et des garçons ( serviteurs), alors Isaac? ...il faut attendre Gn 24, 62 pour le voir revenir dans le récit et encore, c'est Rebecca qui parle...
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J
Je découvre les textes sur le blog ainsi que leurs commentaires à mon  retour d’Andalousie, tragique et superbe pays, où s’étalent à côté des merveilles le lourd palais rond-carré de Charles Quint et la criminelle cathédrale plantée dans la mosquée de Cordoue. Architecture « intempestive » s’il en est !Qualificatif "intempestive" dans le titreOui, afin de prévenir le lecteur de l’extrême originalité du film, j’ai gardé cet adjectif à défaut d’un meilleur que je n'ai pas trouvé, pour qualifier la fable Dogville dans un autre sens dérivé souvent employé :-  Ainsi dans : « Propos intempestifs sur le Tchouang Tseu. » éditions Allia,  sous-titré « du meurtre de Chaos à la révolte des singes » Jean Lévi cite Tchouang Tseu p 45 :« Ne te fais pas le propriétaire des dénominations, ne sois pas un magasin à calculs ; ne te comporte pas comme un préposé aux affaires ou un maître de sagesse. Sache aller jusqu’à l’illimité et vagabonder dans l’invisible. Tire parti de ce que tu as reçu du ciel sans en chercher avantage. Contente-toi d’être vide. L’esprit de l’homme parfait est un miroir. Un miroir n’accueille personne ; il renvoie une image sans la garder. C’est ainsi qu’il domine les êtres sans être blessé.  (VII p 69) »-  et  dans : « Entretien intempestif sur le Tao » Actes Sud, Henri Faliu-Blanc imagine un long entretien entre un novice et un maître du Tao, entretien incisif et « intempestif ». Le novice brûle de s'initier au Tao et questionne son maître qui partage avec Lao-tseu un solide bon sens paysan et un goût pour la distance. Le maître tord le cou aux idées reçues et aux poncifs de la « vieille modernité ». De toute évidence, le « réel têtu » et éternel de la vieille Chine de Lao-tseu et la pensée d'Henri Faliu-Blanc puisent aux mêmes sources et ne font qu'un : aussi le maître, dans ses réponses, se laisse-t-il aller à une fantaisie décapante, souvent ombrageuse et irrévérente.»Question de goût ou erreur ?A Mireille je répondrai OUI ! Peut-être est-ce là le sens primordial du film ? OUI ce ne pouvait qu’être une femme ! Mais je crois qu’on ne peut pas le résumer, « le pouvoir » : OUI, mais pas seulement ! Son grand intérêt me paraît être de nous « bousculer », de nous empêcher de prendre parti, de nous montrer combien les apparences sont trompeuses, et combien les lectures sont multiples. Ainsi entre autres choses, j’ai été saisi d’effroi en découvrant la ressemblance entre le principe distinctif de « la bonté supérieure »  et de « la bonté inférieure » exprimée par le Tao et la morale ( ? ) insoutenable du film. Mais le film, il faut le voir, sinon, en parler est difficile.  
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E
Il me semble que l'innocence d'Isaac est intégrée puisque le bélier vient remplacer l'agneau. Le sacrifice n'est plus du côté du fils mais du côté du père. Ce qui n'est pas le cas du Christ, qui sera effectivement crucifié tout en étant innocent. Encore que la toute-puissance puisse être aussi du côté de l'enfant. On pourrait penser en effet que ce sont les deux toute-puissance, qui sont sacrifiées avec le bélier : celle d'Abraham d'abord mais aussi celle d'Isaac, qui se voit à travers son père. Mais ce n'est qu'une hypothèse...
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