Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
18 janvier 2022 2 18 /01 /janvier /2022 18:13

L’âme, une réalité perdue, qu’il faut, à tout prix, inventer à nouveau, pour repenser l’homme

 

L’homme est actuellement en perte de repères et trouve difficilement sa place dans le monde contemporaini. Il semble qu’il lui manque aujourd’hui un concept traditionnel qu’il a beaucoup utilisé dans le passé, mais qu’il a fini par abandonner parce que le problème était mal posé. Je veux parler de la notion de l’âme, ce souffle intérieur qui lui permet d’exister dans la vie de tous les jours.

 

La dualité « âme/corps » et le blocage de la pensée et de la vie

Comme les plus anciens l’ont appris au catéchisme de leurs premières années, au moins dans le monde chrétien, il apparaissait évident autrefois que l’être humain était composé d’un corps et d’une âme. Mais, à l’usage, une telle dualité nous empêchait de vivre l’homme dans son unité et le condamnait finalement à marcher à côté de son corps. Constamment l’ombre de son âme perturbait toute son existence.

 

L’unité dans la dualité, un principe libérateur

Pendant sept ans, j’ai pu suivre les cours d’un grand professeur de philosophie, qui était lui-même un très bon philosophe. Il s’appelait Yves Jolif.  Or, il avait une clef magique qui semblait ouvrir toutes les portes. Il prétendait qu’il fallait penser l’unité dans la dualité. Habituellement il tenait sa clef cachée, mais, de temps en temps, par honnêteté intellectuelle, il nous livrait son secret. Je me souviens qu’au premier instant je ne parvenais pas à imaginer qu’un principe aussi simple pouvait donner tant de clarté et d’éclat à sa pensée. Aussi, enfoncés dans la profondeur de leurs réflexions, les métaphysiciens, qui avaient durement peiné pour atteindre les fondements de la pensée, n’arrivaient pas à se convertir à autant de simplicité. Et pourtant c’est là que j’ai appris ce qu’était la bienveillance intellectuelle. Il ne s’agissait pas de partir de la vérité pour juger une réflexion, quelle qu’elle fût. Il était préférable de la faire apparaître progressivement. Car elle n’était pas au départ mais au bout du chemin.

 

L’âme au cœur du sujet

Notre professeur de philosophie avait donc compris qu’il fallait sortir la réflexion de la dualité, qui l’empêchait d’atteindre la réalité. Il fallait penser, en même temps, l’unité et la dualité, c’est-à-dire, comme nous l’avons déjà exprimé, penser l’unité dans la dualité. Or, chez l’homme, le corps ne s’oppose pas à l’âme. Il est en opposition avec l’esprit. Et l’âme elle-même établit une relation entre les deux et devient ainsi principe d’unité, au lieu de s’enfermer dans une fausse opposition et donc dans la dualité. Nous sommes alors dans une triade, âme-corps-esprit, qui constitue le sujet. Ainsi, en sauvant l’âme, comme principe d’unité, nous sauvons aussi le sujet lui-même. Bien plus, en retrouvant sa place, l’âme finit par servir de support à toute la dialectique humaine.

 

C’est grâce à l’âme que peut être pensé le rapport entre le ciel et la terre

Le ciel et la terre sont un peu la réplique de l’esprit et du corps. Aussi l’âme qui réunit l’esprit et le corps permet de penser le rapport entre le ciel et la terre. Dès lors, il devient impossible de vivre sur terre sans faire référence au ciel. Le ciel apparaît comme l’ailleurs ou l’horizon de la terre. Qu’il le veuille ou non, l’homme ne peut atteindre son destin et réaliser sa vocation en ignorant le ciel, qui reste enveloppé de mystère. Bien que, par définition, il ne peut connaître le mystère, il ne peut pas, pour autant, le rayer de son existence. Il lui faut donc provisoirement apprendre à marcher à cloche-pied, comme l’avait fait Jacob lui-même dans l’Ancien Testament. C’est lorsqu’il aura intégré le mystère, c’est-à-dire la non- connaissance, qu’il retrouvera son équilibre.

 

La vie se présente comme un grand jeu

La vie se manifeste comme un véritable conte de fée. Elle tisse l’existence de chacun en s’amusant. On pourrait penser qu’elle navigue dans l’insouciance. Et pourtant, en ce qui la concerne, le jeu est ce qu’il y a de plus sérieux : jeu entre la raison et l’imaginaire, entre le yin et le yang, le vide et le plein et finalement entre la vie et la mort.

 

Le jeu nécessaire entre la raison et l’imaginaire

Un conte chinois, « Sur l’aile du papillon » met en scène deux personnages, Cheng et Lao. Cheng était un très grand médecin, fort réputé dans le pays tout entier. Lao était un pauvre paysan, que la misère avait visité sans jamais lui laisser un moindre espace de répit. Finalement, il sombra dans la folie, s’imaginant à la tête d’une grande propriété, avec de nombreux domestiques voués à son service. Tous ses voisins s’en accommodèrent, voyant qu’il était passé dans un autre monde. Pourtant, le fameux médecin voulut rendre à la raison le pauvre fou, perdu dans ses rêves. Pendant 8 jours, il pénétra dans l’esprit de Lao au point de le libérer de sa bienheureuse folie. Après un an de paradis, Lao se demanda quelle faute il avait pu commettre pour se voir à nouveau condamné à l’enfer. Livré au désespoir, il finit par se pendre. Le lendemain, son fils porta plainte auprès du juge de district.

Après plusieurs jours de réflexion, le juge édicta sa sentence :

 

« Homme savant mais peu sage, tu vivras désormais solitaire,

Et, pour ne pas être tenté de te perdre dans ta propre folie,

Tu briseras tes miroirs.

Nous souhaitons que Lao le Simple, un jour, te pardonne.

Va et que ta présence ne souille plus notre regard. »

 

Cheng apprit alors qu’il était folie de bloquer le jeu entre la raison et le rêve de l’imaginaire.

 

La rencontre avec la pensée chinoise du yin et du yang

La pensée chinoise est profondément marquée par le jeu entre le yin et le yang, c’est-à-dire le féminin et le masculin, l’ouverture à l’autre et l’affirmation de soi.

Je suis allé en Chine en 1975. Il était évident que j’allais faire connaissance avec un communisme réaménagé. Or, en fait, c’est la pensée chinoise que j’ai découverte. Toutes les expériences nouvelles, dans l’école, l’industrie, la santé, les communes populaires, étaient marquées du sceau du taoïsme. Mao Tsé Toung lui-même, quelles que fussent les critiques émises à son encontre, avait le sens du balancement entre le yin et le yang.

 

Le vide et le plein

François Cheng, lui-même d’origine chinoise, a beaucoup réfléchi sur le jeu entre le vide et le plein. Et, à ce niveau, il donne des conseils aux peintres, qui veulent s’engager dans la voie de la création. Je lui laisse la parole.

Car, dans l’optique chinoise, le Vide n’est pas, comme on pourrait le supposer, quelque chose de vague et d’inexistant, mais un élément éminemment dynamique et agissant (Vide et plein, p. 45).

 

Dans l’ordre du réel, le Vide a une représentation concrète : la vallée. Celle-ci est creuse, et, dirait-on, vide, pourtant elle fait pousser et nourrit toutes choses ; et portant toutes choses en son sein, elle les contient sans jamais se laisser déborder et tarir (Vide et plein p. 56).

La Grande Vallée est le lieu où l’on verse sans jamais remplir et où l’on puise sans jamais épuiser (Chuang-Tsu p. 57).

La montagne lorsqu’elle est trop pleine, il faut la rendre « vide » avec la brume et la fumée ; lorsqu’elle est trop « vide », la rendre « pleine » en ajoutant pavillons et terrasses (T’ang I-fen, p. 86).

« Le Ciel donne, la Terre reçoit et fait croître, l’Homme accomplit » ; et dans le Chung-Yung « Le livre du Juste Milieu » : « Seul l’homme, parfaitement en accord avec lui-même, parfaitement sincère, peut aller au bout de sa Nature… Aller au bout de la Nature des êtres et des choses, c’est se joindre en Troisième à l’action créatrice et transformatrice du Ciel et de la Terre » (Vide et plein, p.145).

 

Le jeu de la vie et de la mort chez Socrate

Socrate a été condamné à mort. Il doit boire la ciguë. Accepter de le faire n’est-ce pas accepter le suicide ? En ce moment solennel, il discute avec ses disciples et notamment avec Simmias et Cébès, comme le raconte « Le Phédon ». Or, pour lui, l’âme humaine est l’intermédiaire qui permet le jeu entre la mort et la vie. Il y a donc en elle quelque chose de divin, qui la rend immortelle. Aussi va-t-il jouer sa mort comme il a joué sa vie jusqu’ici. En acceptant le poison, il veut affirmer devant les hommes l’immortalité de l’âme, son être le plus profond.

Bien plus, en agissant ainsi, il met sa vie dans la balance pour soutenir l’existence de l’âme elle-même.

 

La fécondation de l’âme

Jusqu’ici beaucoup d’hommes et de femmes ont témoigné de la présence dans le monde d’un souffle créateur, qu’ils désignent par le mot Esprit ou la Ruah : Teilhard de Chardin et Bergson, de nombreux soufis, de grands mystiques comme Jean de la croix, Thérèse d’Avila, Thérèse de Lisieux et finalement les premiers Chrétiens et les Juifs eux-mêmes. Chacun peut en faire aussi l’expérience en des moments privilégiés de sa vie. Or je pense que l’Esprit vient féconder l’âme humaine pour transformer les êtres humains en êtres divins. C’est mon option personnelle et je laisse tous les autres hommes ou femmes, libres de leurs choix intérieurs.              Etienne Duval

 

Partager cet article

Repost0

commentaires

M
Bonjour Etienne,<br /> <br /> Je suis vraiment très en retard pour répondre à ton article "Un plaidoyer pour l'âme" . Je voudrais juste apporter mon témoignage à ce sujet.<br /> En te lisant, j'ai repensé au moment où, à la mort de ma mère, j'ai eu une "vision" que je peux dire "palpable" de l'âme : je suis allée la voir chaque jour dans la chambre mortuaire où elle reposait en attendant ses funérailles. Je la retrouvais, je pouvais même lui parler. Et puis un jour, plus aucune présence, ce corps était devenu inerte, un caillou, ce n'était plus ma mère; je n'ai pu que me dire : "Voilà, son âme est partie" ; je n'y suis plus retournée jusqu'à la mise en bière. Et j'ai alors compris les représentations naïves des images pieuses d'autrefois où l'on voit des âmes avec deux petites ailes qui volent vers le ciel.<br /> Je suis très proche ici de la définition de Socrate : " l’âme humaine est l’intermédiaire qui permet le jeu entre la mort et la vie."<br /> <br /> Je crois que n'importe qui, sans se poser la question, sans vouloir ni pouvoir la définir, a et a toujours eu, une représentation intuitive de ce que recouvre le mot "âme", quelque chose d'invisible qui nous relie au "ciel", qui est notre part céleste; (en cela, elle est différente de notre corps sans que pour autant, elle s'y "oppose") ; en incluant cette idée d'unité comme tu le mentionnes, certains définissent l'âme comme "ce qui relie le corps et l'esprit" ; et l'on pouvait "vendre son âme au diable" qui comme on le sait, lui, représente la séparation.<br /> Est-ce que l'homme actuel a "vendu son âme au diable" comme dans les anciens contes et mythes ? chacun doit avoir sa réponse à cette question . . .<br /> <br /> Bonne soirée !
Répondre
E
Ton témoignage est très intéressant et il me paraît très juste, en tout cas, proche de la conception qui est la mienne. Pour autant, je n’ai pas à le juger. Il a la force de l’expérience personnelle.<br /> C’est vrai que la notion de l’âme n’a pas bonne presse aujourd’hui parce que sa présentation ancienne, qui l’opposait au corps, manifestait que le problème était mal posé. L’âme ne s’oppose pas au corps. Elle est plutôt ce qui relie le corps et l’esprit. Aussi je pense qe l’homme actuel n’a pas vendu son âme au diable. Mais, pour autant, il refuse une conception qui ne correspond pas à son expérience intime. A nous de trouver les mots propres à lui donner sa place dans notre monde actuel. Il est trrès important de le faire.
P
bonjour Etienne,<br /> <br /> bel article !<br /> <br /> tu as peut-être vu que nous organisons à la faculté de philosophie<br /> en partenariat avec les sources chrétiennes un colloque en mars sur<br /> "penser l'âme au temps de son éclipse les ressources de l'anthropologie chrétienne",<br /> <br /> en pj les infos,<br /> <br /> tout le défi est de rendre consistance à cet essentiel du vivre humain,<br /> en contexte actuel qui récuse cet essentiel, c'est un enjeu critique de<br /> déconstruction des discours de style naturaliste qui prétendent s'en passer,<br /> au sein des doctrines neurobiologiques ou d'intelligence artificielles,<br /> <br /> sinon l'affirmation de l'âme sera déconnectée du contexte,<br /> <br /> en effet la dualité plutôt que le dualisme,<br /> c'est une idée que je partage depuis longtemps,<br /> en l'espèce de l'idée de différence,<br /> <br /> lé différence, c'est que pour définir l'humain, il faut toujours deux principes,<br /> irréductibles l'un à l'autre, indissociables l'un de l'autre,<br /> <br /> cette dualité ou différence, pour la rendre crédible, il y a lieu de rechercher ses figurations concrètes,<br /> ainsi dans le langage, à tous les niveaux où on le prend :<br /> langue/parole, signifiant/signifié, sens des mots/sens des phrases en contexte etc.<br /> <br /> Nietzsche disait à la fin de La Naissance de la tragédie,<br /> "l'homme est une dissonance incarnée",<br /> <br /> par contre la référence au Phédon de Platon ne me semble pas<br /> faire avancer la pensée sur l'âme aujourd'hui, car il s'agit du<br /> manifeste par excellence du dualisme, avec l'idée du<br /> corps tombeau de l'âme,<br /> <br /> ce n'est d'ailleurs pas une pensée à verser au compte de Socrate,<br /> contrairement à l'Apologie de Socrate, récit par le jeune Platon<br /> du procès de son maître ; le Phédon est un texte du vieux Platon,<br /> qui met sa conception dualiste dans la bouche de Socrate devant la mort,<br /> <br /> merci,<br /> <br /> fraternellement,
Répondre
E
Merci de ta réponse très argumentée. J'aurais aimé que Socrate, en tout cas, celui du Phédon, soit dans la dualité et non dans le dualisme.<br /> Très bonne journée !
C
Mon insistance sur la dimension transcendantale de l'Esprit - à écrire comme tu l'as fait avec un grand E - tient au fait qu'elle touche à un débat bien plus que purement théorique entre "belles âmes", elle a à voir avec ce que notamment Valérie Bulgault dans son analyse géopolitique, économique, juridique et monétaire intitule "les raisons cachées du désordre mondial". Il ne s'agit plus bien sûr d'interroger l’Économie du Salut référée à l'incarnation divine, comme l'évoque Pierre Legendre, "dans ce lien de filiation avec l'espace de l'absolu qui se noue par l'intermédiaire du Sauveur", même s'il n'est pas sans intérêt encore aujourd'hui, ce que nous rappelle encore Pierre Legendre, d'observer qu'en matière d'économie : "reproduire,c'est produire non pas du même - (de l'identique à l'infini) - mais du semblable, et pas n'importe quel semblable, mais un semblable qui soit en rapport avec le vrai ; d'après un sens ancien du latin, il faudrait dire :verisimilis ".<br /> Ce qui m'amène avec Valérie Blgault à m'interroger sur cette véritable "imposture politique" sur laquelle s'appuient nos démocraties, par exemple dans le domaine de la monnaie, à l'origine créée pour servir le bien public, mais déjà, bien avant les accords de Bretton Woud, détournée par les banquiers commerçants pervertissant ces mêmes démocraties par l’hégémonie d'une finance privatisée mondiale, et avec des répercussions dans tous les domaines, notamment sur l'absence de rôle régulateur dans les rapports de force entre capital et travail ou dans sa compromission avec l'OMS.<br /> Qu'attendre aujourd'hui d'une telle démocratie et qu'il est paraît lointain le CNR , le Conseil National de le Résistance, et sa foi en une certaine transcendance ! <br /> Amicalement. Charles
Répondre
E
Merci Charles, je n'ai rien à ajouter.
C
Merci Etienne pour ces réflexions que tu nous confies.<br /> Pour ma part, "penser l'unité dans la dualité" comme tu nous y invites après Jolif, c'est aussi parce que, sans la dualité qui s'y cache, la notion d'unité serait par trop simpliste ; les psychanalystes en ont bien conscience quand par ex. dans cette négation à l'intérieur de l'interrogation : « je crains qu'il ne vienne», ils distinguent : "je" le sujet de l'énoncé et "ne" le sujet de l'énonciation qui s'y cache : «qu'il vienne ou qu'il ne vienne pas ? » ; le langage humain en effet n'est pas univoque comme le langage animal et celui du numérique, mais équivoque et porteur non seulement de signes mais de signifiants ; ce qui m'amène à réfléchir à cette dualité à l'intérieur de l'unité sous un autre angle que celui que tu choisis entre l'âme et le corps, le ciel et la terre, prenant l'âme comme principe directeur. J'estime pour ma part que ce vers quoi il faut se tourner ce n'est pas vers l'âme - et du reste tu arrives finalement aussi à cette conclusion - mais vers l'esprit au sens de "transcendance", à l'image du souffle dont on ne sait "ni d'où il vient, ni où il va". L'âme, je ne l'entends jamais que comme "la belle âme" ou bien - disait Lacan (cf. Encore) à propos du De anima d'Aristote, du fait que l'homme pense avec- instrument - son âme, c.à.d. avec la pensée d'Aristote, pensée qui se trouve donc naturellement du côté du manche, du pouvoir.<br /> Si je prends cet angle d'attaque c'est que, dans la période actuelle de l'épidémie du Covid 19 auquel, à chaque nouveau vaccin succède un nouveau variant, ceux qui nous gouvernent sont incités, par le biais du numérique, à cet uniformisme généralisé que leur offre la mondialisation, l'instrument prenant le pas sur la singularité de chacun. Se pose alors, face à ce pouvoir, la question non pas tant de l'âme que de la transcendance, de "Dieu" comme on la désignait - (mais non "la Révélation" que de façon manichéenne certains lui opposent). Et cette question - qui concerne aussi l'écologie - d'autres déjà l'ont posée.<br /> C'est ainsi que R. M. Rilke dans Les carnets de Malte Laurids Brigge écrit : « Est-il possible qu'on dise "les femmes", "les enfants", "les jeunes garçons" et qu'on ne pressente pas que ces mots n'ont plus de pluriel depuis longtemps, seulement une quantité innombrable de singuliers ? – Oui, c'est possible. <br /> Est-il possible qu'il y ait des gens qui disent "Dieu" en pensant que c'est une chose qu'on possède en commun ? - Il suffit de regarder ces deux écoliers : l'un d'eux s'achète un canif et son voisin s'achète le même jour un canif en tous points semblable. Et au bout d'une semaine, ils se montrent leurs canifs et il apparaît qu'il n'y a plus entre eux qu'une lointaine ressemblance - tant ils se sont transformés entre les mains de l'un et de l'autre (ah! dit la mère de l'un des gamins, immédiatement vous usez les choses !) – Ah, voilà! est-il possible de croire qu'on puisse avoir un Dieu sans l'user ? – Oui, c'est possible. »<br /> Il y a aussi l'homme "usager " tel que le décrit Hannah Arendt dans Condition de l'homme moderne (éd. Agora p.213): « Platon vit immédiatement que si l'on fait de l'homme la mesure de tous les objets d'usage, c'est avec l'homme usager et instrumentalisant que le monde est mis en rapport, et non avec l'homme parlant et agissant ni avec l'homme pensant. Si on laisse les normes de " l'homo faber " gouverner le monde fini comme elles gouvernent - il le faut bien - la création du monde, il se servira un jour de tout et considérera tout ce qui existe comme un simple moyen à son usage. Il classera toutes choses parmi les χρήματα (Théétète 152a), les objets d'usage, et, pour reprendre l'exemple de Platon, on ne comprendra plus le vent tel qu'il est comme force naturelle, on le considérera exclusivement par rapport aux besoins humains de fraîcheur ou de chaleur, ce qui évidement signifie que le vent en tant que chose objectivement donnée aura été éliminé de l'expérience humaine. C'est à cause de ces conséquences que Platon, rappelant dans Les lois (716 c) la phrase de Protagoras, réplique par une formule presque paradoxale : ce n'est pas l'homme άνθρωπος, qui en raison de ses besoins et de ses talents veut tout utiliser et, par conséquent, finit par priver toutes choses de leur valeur intrinsèque, ce n'est pas l'homme mais le dieu, ό θεός, qui est la mesure [même] des objets d'usage.» <br /> C'est une question du même ordre que dans L’inestimable objet de la transmission (éd. Fayard p. 53) pose<br /> Pierre Legendre à propos du "sujet" : «Notons ce que l'expérience clinique de la psychanalyse nous enseigne : les humains viennent à la vie comme des parcelles, dans le manque ; l'institution de la généalogie déjoue cette fragmentation, la division du sujet doit être assumée comme une conquête. Pourquoi, comme une conquête ? Rigoureusement parlant, il faut parvenir à l'identité, s'identifier dans le semblable, ce qui implique une définition de la reproduction : "Re-produire", c'est produire non pas du même mais du semblable ; non pas n'importe quel semblable, mais un semblable qui soit en rapport avec le vrai. Qu'est-ce que la question du semblable et du vrai ? Il s'agit de la question de l'image, d'un univers de connotations, dont émergent aussi bien la métaphysique de l'imitation que l'art divin du sculpteur - notez la référence aux dieux - qui produit cet étrange objet, une statue. Aussi, Le rapport du semblable et du vrai ouvre-t-il la voie à une formule théologique essentielle empruntée par l'Occident au christianisme grec et byzantin : οίκονομία ; ce mot, dont la langue industrielle anglaise use avec éclat, touche à l'intimité des choses du gouvernement humain. L'économie, c'est la loi de la maison, l'administration du ménage, le "management". Et, dans la perspective du lien avec l'absolu divin, Οίκονομία veut dire "l'Économie de ce lien", c.à.d. - dans nos montages d'institutions marqués par le christianisme - du lien avec l'Économie du Salut, notre lien de filiation avec l'espace de l'absolu, espace divinisé - religieux ou laïcisé -, dans lequel - allons plus loin dit encore Pierre Legendre (p.44) -, se joue l'instance du pouvoir à l'état pur, l'instance du pouvoir vide de contenu » et dans laquelle nous retrouvons la notion de transcendance, celle de l'esprit plutôt que de l'âme.
Répondre
E
Merci Charles, tu fais bien de me pousser dans mes retranchements. Je maintiens que l’âme est une réalité importante parce qu’elle fait le lien enre le corps et l’esprit. Mais lorsque je parle ici de l’esprit, il s’agit de l’esprit interne à l’homme. Et toi tu me renvoies à l’Esprit transcendant, extérieur à l’homme. Et là tu as raison. <br /> Il y a un premier niveau avec l’âme dans son rôle de lien et ensuite le rôle de l’Esprit qui vient féconder l’âme. Entre nous, il n’y aurait pas de fécondation s’il n’y avait pas d’âme.<br /> Et tu vas un peu plus loin, en soulignant que l’Esprit valide la transcendance présente dans le monde, préservant ainsi de l’aplatissement de ce monde, enfermé dans les valeurs d’usage.<br /> Nous finissons ainsi par nous rejoindre avec cette différence que je maintiens le palier important de l’âme. <br /> Bien amicalement.
E
Rassure-toi :
Répondre
G
Je vais y parvenir. Notre fils Jean Guillaume vient d'arriver On va refaire le monde.
E
Je suis persuadé que l'autre Gérard n'aura aucune peine à reprendre le cours de sa pensée. C'est lorsque la pensée s'échappe qu'il finit par perdre le fill de la conversation.
Répondre
G
Patience, patience : je rumine . Restera à trier et mettre en ordre. Ce que tu dis est tellement pertinent !<br /> <br /> G. et G.
G
Bien sûr que non, je ne t'en veux pas !<br /> <br /> Je reconnais que sur ces questions entre autres j'ai fort peu de références et je ne prends pas le temps de vérifier celles que j'utilise (d'une mémoire qui flanche). Tu as bien raison de m'inviter à plus de rigueur. <br /> <br /> Je t'indiquais quelques raisons de mon hésitation à te répondre , ne voyant pas " ce que je pourrais ajouter à ton texte, ou sur quel point discuter". Je me suis lancé très imprudemment, en avançant des banalités approximatives qui ne sont nullement à la hauteur de ta réflexion. <br /> <br /> Si je le retrouve, j'en parlerai au Gérard Jaffredou que tu as connu. S'il veut bien m'entendre et s'il peut te comprendre.<br /> <br /> Gérard
Répondre
E
J'espère que tu ne m'en voudras pas.
Répondre
R
Merci cher Etienne pour ton texte.<br /> <br /> Je constate que le P. Jolif a laissé de bonnes traces et semences d’équilibre dans ta réflexion.<br /> <br /> Tes citations de François Cheng indiquent une belle ouverture d’esprit plus universelle que certaines pensées qui ne sortent jamais de notre occident, pourtant riche et trinitaire avec la pensée juive, grecque et latine.<br /> <br /> J’avoue que le détour, même avec quelques risques, par la pensée des philosophes de l’Inde et de Chine nous font pénétrer au cœur du dépassement dualiste. Après il n’y a plus qu’à unir le Ciel et la Terre dans notre quotidien.<br /> <br /> Bien amicalement à toi. Et à tous ceux qui te lisent.<br /> <br /> Robert
Répondre
E
Merci Robert,<br /> <br /> C'est vrai que si on va au fond de chacune des cultures, elles finissent par se rejoindre.
G
Cher Etienne, je terminais mes corrections (?) et je trouve ton mail. Donc j'envoie, espérant ton indulgence. Gérard<br /> <br /> ---------------------------------<br /> <br /> Encore une fois, cher Etienne, je me demande ce que je pourrais ajouter à ton texte, ou sur quel point discuter. Au pire, dans les mots et images que tu utilises, je ne mettrais pas les mêmes contenus ou les mêmes liens entre eux. Ou bien je n’en vois pas clairement le sens.<br /> <br /> 1) l’Esprit vient féconder l’âme humaine pour transformer les êtres humains en êtres divins.<br /> <br /> Il y a là une opération dont je ne comprends pas (avec un peu de mauvaise foi) le mécanisme, dont les protagonistes me semblent assez mystérieux, ou improbables.<br /> <br /> Je remonte dans le texte pour trouver la réponse.<br /> <br /> 2) Le « souffle créateur » présent dans le monde.<br /> <br /> Ce serait bien, mais d’où vient –il ? Où passe-t-il ? J’ai plutôt la perception d’un souffle destructeur dans les temps présents qui ne sont plus ceux de « Teilhard de Chardin et Bergson, (…), de Jean de la croix, Thérèse d’Avila, Thérèse de Lisieux », etc. . Mais à bien y regarder dans leurs temps aussi le « souffle » n’était guère plus créateur.<br /> <br /> 3) Socrate<br /> <br /> Sous réserve de vérification, je doute que Socrate ait défendu l’idée d’une immortalité de l’âme (même la sienne). Si « immortalité » il y a, ce serait plutôt celle de la vérité. Sous réserve de vérification.<br /> <br /> 4) François Cheng<br /> <br /> Je n’ai rien à en redire : j’ai avalé avec bonheur (tous ?) ses écrits sur l’art et la création (artistique). J’en ai retenu, qu’en effet, le « Vide » permet la création, et suggère la présence de la vie.<br /> <br /> 5) La vocation au mystère ? Tu dis : « l’homme ne peut atteindre son destin et réaliser sa vocation en ignorant le ciel, qui reste enveloppé de mystère. Bien que, par définition, il ne peut connaître le mystère, il ne peut pas, pour autant, le rayer de son existence ».<br /> <br /> Bien sûr ! Mais je dirais plus simplement : l’homme ne peut connaître son avenir et déterminer (assurément) sa vie car le futur ne lui appartient pas.Cet inconvénient est dû au caractère historique de l’humanité ? Jolif le soulignait aussi.<br /> <br /> 6) « Penser l’unité dans la dualité. Or, chez l’homme, le corps ne s’oppose pas à l’âme. Il est en opposition avec l’esprit. Et l’âme elle-même établit une relation entre les deux et devient ainsi principed’unité, (…) Nous sommes alors dans une triade , âme-corps-esprit, qui constitue le sujet ».<br /> <br /> Oui ! Mais je vois l’âme (si je peux dire) seulement comme une des fonctions de « l’esprit » ; autrement dit : le mot qui permet d’évoquer une curieuse fonction de l’esprit humain : voir plus loin que le bout de son nez ou le bout de sa vie. Et pour l’essentiel je reste dans la dualité.<br /> <br /> « Penser l’unité dans la diversité » ? Bien sûr ! C’est ce qui garantit (plus ou moins solidement) la vie. La vie est faite ou garantie (quoique provisoirement) par l’unité entre le corps et ce que tu appelles « l’âme », par quoi je désignerais (par facilité ou habitude) l’activité de l’intelligence, de la sensibilité, de la perception, de l’imagination, de l’énergie, etc.. Il y a la mécanique – et le moteur qu’on peut appeler « âme », ou « conscience », ou « volonté » … ou « l’esprit » (ou bien l’intelligence et la sensibilité à autrui ) qui commande…. Et tout cela est dansle moment de la vie. Et dansla personne, dans le « sujet » (et les rapports avec autrui). Et quand c’est fini, c’est fini. Il peut rester, pour un moment, des souvenirs – mais rien de plus.<br /> <br /> 7) « Ainsi, en sauvant l’âme, comme principe d’unité, nous sauvons aussi le sujet lui-même. Bien plus, en retrouvant sa place, l’âme finit par servir de supportà toute la dialectique humaine ».<br /> <br /> Oui ! Mais j’attribuerais quant à moi, cette mission à « la vie » elle-même, au fait d’être « vivant » : percevoir, penser, comprendre, décider, faire !!! , avec autrui, ou seul, etc. : la vie, quoi. Peu importe qu’on nomme le « support » de tout cela qui est la « dialectique humaine » : « âme » ou « volonté de vivre ».<br /> <br /> Mais je perçois la différence : « l’âme » aurait la chance de nous survivre. Tandis que la « volonté de vivre » ne nous fera pas vivre beaucoup plus, ni même survivre, ni encore moins revivre.<br /> <br /> Jeudi 20. I., 11 h.<br /> <br /> In extremis je souhaite préciser. « L’âme » serait le troisième élément, mais essentiel puisque salvateur des deux autres (le corps et l’esprit) dans une perspective de « l’éternité ». Sur ce terrain lointainnet incertain, les concepts vacillent quelque peu. L’âme est devenue un concept flou et infiniment multi-polyvalent, à forte connotation religieuse par son origine et –inconsciemment- par son emploi (la machine à laver, elle aussi, « rend l’âme » - comme tous les « objets inanimés… » ). Emploi mal à propos, à tout propos, poussé par une tentation permanente de dramatiser ce qu’on dit, surtout le plus banal, et qui rend méfiant à l'égard de quelques « concepts » sacrés.<br /> <br /> C’est pourquoi je m’en tiens à cette réduction de « l’âme » (du moins le concept) à un sentiment fort et un désir instinctif de la vie. Sentiment extrêmement commun, propre à ce qu’on appelle « l’humanité ».
Répondre
E
Gérard, je ne te reconnais pas. Comme d’habitude, je m’attendais à une pensée qui affronte une autre pensée. Mais là j’ai eu un prof qui corrige la copie d’un élève. Je me suis aperçu que tu ne connaissais même pas Socrate, avec sa conception de l’âme et de son immortalité. C’est le béaba de la philosophie. Je te renvoie au Phédon et à la Mort de Socrate. Quant à l’Esprit, tu le raplatis en me demandant d’où il vient et où il va. Or, selon la tradition, on ne sait pas d’où il vient, ni où il va. C’est sa définition<br /> En ce qui concerne le mystère, tu le réduis à l’historique sans reconnaître qu’il y a des choses qui échappent à l’intelligence de l’homme, précisément parce qu’il n’est pas tout-puissant et ne peut pas l’être.<br /> Par ailleurs réduire l’âme à une fonction de l’esprit, c’est précisément ce genre d’idée que j’ai voulu combattre.<br /> Quant à Jolif, il ne parlait pas de l’unité dans la diversité, mais de l’unité dans la dualité qui est l’essence même de la dialectique. Et affirmer, sans plus de précaution que quand c’est fini c’est fini, c’est une prise de position que tu ne peux pas étayer rationnellement. <br /> Enfin, tu dis que l’âme est devenue un concept flou. C’est précisément de cela dont j’ai voulu la sortir, en produisant cet article du blog. <br /> Je sais que tu ne recevras pas bien ces critiques mais j’ai voulu mettre le holà à trop de facilité. Tu n’es pas à la hauteur du Gérard Jaffredou que je connais.<br /> <br /> Très bonne soirée quand même.
G
Non non, rassure-toi ! je relis et corrige un essai de réponse, et j'envoie. (Sans aucune prétention, bien entendu).<br /> <br /> Il est vrai que ton texte, fort cohérent et solide, m'a d'abord rendu perplexe : je ne voyais pas d'emblée sous quel angle et sur quel point le discuter. Puis, avec un peu de mauvaise foi, j'ai essayé. Je vais donc persister, et envoyer.<br /> <br /> A bientôt.<br /> <br /> Gérard
Répondre
D
J'attends tes commentaires toujours bienveillants.
L
Thomas d'Aquin progresse dans la conception de l'âme avec sa théorie de l(hylémorphisme. Elle serait, en même temps, la forme du corps et une forme subsistante.
Répondre
G
Google fait maintenant référence à cet article
Répondre
G
Merci ,Etienne, pour l'excellente rencontre de la semaine dernière et aussi pour cette "étude" que tu viens de m'envoyer. Je n'ai pas encore pris le temps de la lire mais ça ne saurait tarder. Merci encore ! GERARD
Répondre
E
J'attends avec beaucoup d'intérêt tes commentaires sur l'âme.

  • : le blog mythesfondateurs par : Etienne
  •   le blog mythesfondateurs par : Etienne
  • : Mythes, articles à partir des mythes, réactions sur le site Mythes fondateurs http://mythesfondateurs.over-blog.com/ Le mythe et le conte sont la parole dans sa première gestation. C'est pourquoi, si la parole est malade, comme le dit Vittorio Gasman, il devient urgent de revenir à ses fondements qui sont encore à notre disposition, à travers les mythes et les contes. Lorsque la parole ne fonctionne pas, c'est la violence qui gagne. Les mythes et les contes, par l'apprentissage du processus symbolique qu'ils proposent, sont là pour nous aider à faire sortir la parole de la violence. C'est de la naissance de l'homme lui-même dont il s'agit.
  • Contact

Recherche

Articles RÉCents

Blog De Mythes Fondateurs

Liens

Créer un blog gratuit sur overblog.com - Contact - CGU -