L'ange au sourire
Le sourire au cœur de l’hospitalité et du mystère de la vie
J’avoue que je suis fasciné par le sourire. Il précède et accompagne la parole et ouvre une fenêtre sur la beauté des femmes et des hommes. Quel que soit l’âge, quels que soient les méfaits de l’existence, lorsqu’émerge un sourire, inlassablement la beauté se manifeste. Bien plus, là où l’on croyait que la laideur avait fini par l’emporter, le miracle se produit : une beauté indicible finit par se manifester.
Le chien qui souriait
Un ami m’a souvent évoqué le chien de sa maison qui faisait l’admiration de tout le monde : il souriait comme les hommes eux-mêmes. La gaieté envahissait souvent la famille car tout le monde chantait. De son côté, le chien accompagnait la mélodie par des gémissements répétés et son sourire voulait manifester qu’il participait à la joie générale. Cela m’évoque un conte des Indiens d’Amérique, intitulé « Les chants et les fêtes ». Il y a très longtemps, un jeune homme venait d’entreprendre son voyage initiatique lorsqu’un grand aigle fonça sur lui. Il eut très peur mais l’ancêtre des humains le rassura en lui disant : « Il faudrait que tu viennes dans ma demeure car ma mère voudrait t’apprendre à chanter. » Le jeune homme accepta la proposition et finit par se trouver en face d’une très vieille grand-mère : elle avait besoin de transmettre à quelqu’un son savoir ancestral. Sans attendre, elle apprit le chant au jeune homme et plus ses efforts étaient couronnés de succès, plus elle rajeunissait. Elle apprit aussi à son invité l’art de construire des maisons et lui donna ce conseil : « Tu vas retourner chez toi. Tu construiras une grande maison où tu organiseras des fêtes pour tous les habitants de ton entourage. » Il suivit les conseils de la grand-mère, édifia une très grande maison et finit par inviter tous ses voisins pour chanter et danser avec eux. Tout se passa dans la joie : le sourire était sur toutes les lèvres. Mais lorsque la fête se termina, en voyant partir ses invités, le jeune homme s’aperçut que c’étaient d’authentiques animaux avec leurs fourrures qui leur servaient de vêtements. Mais, le temps de la fête, la gaieté et le sourire partagé les avaient transformés, pour un moment, en de véritables êtres humains.
Le sourire de Sara qui va avoir un enfant
Au chapitre 18 de la Genèse, la Bible nous raconte la venue de trois hommes chez Abraham. En fait, ce sont trois anges, annonciateurs des merveilles de Dieu. Le patriarche les reçoit comme des princes. Ils parlent entre eux et annoncent que Sara, la femme d’Abraham, qui se tient à l’intérieur de la tente, aura un enfant l’an prochain. Sara écoute avec attention toute ce qui se dit. Or elle est déjà très vieille et le rédacteur du texte, qui interprète, voudrait nous faire penser qu’elle est prise d’un fou-rire parce que ces hommes sont en train de raconter des balivernes. En fait, le fou-rire est un vrai sourire qui exprime l’entrée joyeuse du mystère de la vie dans un corps subitement rajeuni.
Le bébé qui fait la grimace et le sourire de l’adoption
Il y a trois jours, je suis sur la terrasse d’une grande brasserie de la Croix-Rousse en train de boire un café. Tout à coup un jeune couple avec un bébé de quelques mois vient s’installer à côté de ma table. Le bébé qui n’a pas l’air très heureux fait la grimace et j’observe les parents pour tenter d’avoir l’explication d’un tel malaise. La mère est souriante mais son sourire est un peu figé. Le père plus âgé semble se tenir à distance de l’enfant. Que se passe-t-il ? Subitement, la mère met l’enfant dans les bras du père. Le père semble jouer le jeu mais sans trop d’empressement. Apparemment, la mère est dans l’attente du sourire de l’adoption. Peut-être ? Va-t-il enfin éclairer le visage de chaque membre de la famille, y compris celui de l’enfant ? Mais là je dois quitter les aléas de mon imaginaire pour laisser place à la réalité.
Satan qui refuse de sourire à l’homme
Dans l’Islam, Satan s’appelle Iblis. Or Dieu vient de créer l’homme à partir de limon, et demande aux anges de se prosterner devant lui. Comme de bonnes fées, ils sont appelés à sourire au nouveau-né pour lui assurer un avenir heureux. Iblis, créé de feu et non de limon, refuse de se prosterner devant le nouveau-né. Il a peur d’y perdre un peu de son prestige. C’est pourquoi Satan ricane mais ne sourit jamais. Il n’a jamais adopté l’homme : il est, sans cesse, pour lui, une pierre d’achoppement. Les Textes sacrés veulent-ils nous faire comprendre que le sourire est un laisser-passer pour l’autre et que Satan ou Iblis est la figure de tous ceux qui ne veulent pas apprendre à sourire ?
Le sourire de l’ange qui perd la tête
La cathédrale de Reims est la cathédrale des anges. Ils ont tous le sourire pour accueillir fidèles et visiteurs mais l’histoire s’est attachée spécialement à l’un d’entre eux, qu’elle a appelé « L’ange au sourire ». Le 19 septembre 1914, la guerre provoque l’incendie de la cathédrale. Une poutre de l’échafaudage est en flamme et provoque la chute de la statue en question : la tête se brise en une vingtaine de morceaux. Dès le lendemain, l’abbé Thinot les ramasse et les regroupe et c’est en 1926 seulement que l’ange, reconstitué à partir de ses fragments, reprend sa place à l’entrée de la cathédrale. La guerre lui avait fait perdre la tête, car les luttes entre prétendus ennemis semblaient avoir pour rôle de briser le sourire des hommes. Après la guerre, il était urgent de remettre l’ange à sa place pour faire ressurgir le plaisir d’être ensemble.
Le sourire de la Joconde, qui révèle le mystère humain
Au 16è siècle, Léonard de Vinci nous a laissé, avec la Joconde, une œuvre prestigieuse. Il voulait, à tout prix, donner une place centrale au sourire et c’est, pour cette raison, dit-on, qu’il faisait jouer une équipe de musiciens, pendant qu’il était en train de peindre. La joie exprimée par la musique était comme le sourire qu’il voulait immortaliser sur sa toile. Il savait que le sourire exprimait le mystère humain dans ce qu’il a de plus intime. Au-delà de Mona Lisa, chacun peut découvrir dans cette œuvre la partie la plus secrète et la plus belle de lui-même. C’est une des raisons pour lesquelles des millions de visiteurs viennent la contempler, chaque année, au musée du Louvre.
Le sourire des jeunes qui défient la menace du covid
Aujourd’hui, les jeunes viennent très nombreux dans les bars et bistros pour échanger ensemble. Sans doute la menace du covid provoque-t-elle une angoisse chez les consommateurs, qui se traduit, me semble-t-il, par une séparation des sexes : les hommes comme les femmes se répartissent, apparemment, sur des tables séparées. Chez les plus jeunes, une telle séparation est moins visible, et les sourires qui se multiplient dans leurs échanges sont une arme contre la morosité ambiante. Manifestement ils nous apprennent ainsi que le sourire est notre oxygène indispensable pour nous permettre de continuer à vivre ensemble, surtout lorsque les conditions de vie semblent se détériorer.
Le sourire de la création à l’homme
Le mouvement écologique nous apprend à être attentif au monde non humain qui nous entoure. Ce monde fait aussi partie de l’environnement nécessaire à notre survie. Aussi les barrières sont-elles en train de se briser et j’en arrive à percevoir la création tout entière comme une sorte de sourire d’un monde que nous ne connaissons pas et qui voudrait se manifester à nous. Une jeune merlette, qui, l’an dernier, a mangé tous les fruits de mon olivier, est déjà là en train de guigner sur le bord de ma terrasse, pour savoir quel sera le butin du mois prochain. De son côté, le grand cèdre, qui s'expose dans la cour intérieure de l’immeuble, développe ses belles ramures devant tous les habitants et tente de nous expliquer qu’il pourrait s’effondrer en penchant démesurément vers la gauche, si nous n’y prenons pas garde. En même temps je crois voir son sourire en creux dans la peur qu’il est en train de provoquer autour de lui. Et que dire de tout ce monde merveilleux que nous ne connaissons pas dans les montagnes, dans les océans, dans la brousse, les forêts et à l’intérieur de nous-mêmes ? Je perçois dans ce bruissement insolite, dans le sourire de toute la création, l’annonce d’une grande fête qui pourrait nous surprendre.
Laisser un sourire en héritage
Il y a trois semaines environ, on m’a appris la mort d’une personne que je connaissais et on m’a précisé qu’elle était morte en souriant. Peut-être le sourire est-il cette lumière de l’entre-deux mondes. Alors quel plus bel héritage que laisser aux générations qui nous suivent un simple sourire, capable de servir de trait d’union ! Personnellement je n’ai pas de plus grand désir, pour le jour où il me faudra, comme tout le monde, partir pour le plus grand voyage. Mais, comme le bûcheron de La Fontaine, j’accepte de patienter encore quelque temps.
Etienne Duval