Baptême et tentations du Christ par Véronèse
Lorsque la religion joue contre le spirituel
La religion et le spirituel ne font pas toujours bon ménage, aujourd’hui comme par le passé si bien que chacun ne sait plus à quoi s’en tenir.
La confusion entre spirituel et religion
En France surtout, où nous cherchons, à juste titre, à séparer pouvoir politique et pouvoir religieux, nous en arrivons à confondre spiritualité et religion. La situation est si grave que nous risquons d’exclure le spirituel de notre vie quotidienne au nom du principe de laïcité. En fait, le spirituel est une dimension du réel et la religion doit contribuer à lui assurer sa place dans le développement humain. Pour ce faire, la religion crée des rites et une institution avec des pouvoirs qui lui sont propres. Elle n’a pas, en elle-même, sa justification : elle est au service de l’homme. Bien plus, le spirituel dépasse largement le domaine religieux. Un athée ou un agnostique peuvent défendre leur position au nom d’une exigence spirituelle et leur rôle est essentiel pour éviter que l’homme ne s’enferme dans la religion. En ce sens, ils sont des défenseurs de la liberté humaine.
L’expérience d’un colloque avec des universitaires algériens
Le 9 et 10 mai 2019, l’université de Fribourg, en Suisse, a organisé un colloque intitulé « Mgr Léon-Etienne Duval face aux conflits ». C’est ainsi qu’elle a invité des spécialistes et des universitaires. Il y avait, parmi eux, un bon nombre de femmes et d’hommes, originaires d’Algérie. Et, pour moi, ce sont eux qui ont été le plus loin, non seulement pour nous faire comprendre, mais aussi pour nous faire sentir le rôle de Mgr Duval, pendant la tourmente algérienne.
La révélation d’une hospitalité de la pensée
Les intellectuels algériens n’ont pas de complexe par rapport à la spiritualité. Pendant le colloque, ils n’ont pas hésité à se placer sur le chemin de l’hospitalité, qui est, chez eux une voie royale pour atteindre la vérité. J’ai découvert alors ce que pouvait être l’hospitalité de la pensée, faite d’une grande modestie et d’une grande ouverture. Mgr Duval était, chez eux, l’invité de l’intelligence, ce qui excluait tout sectarisme, et permettait de mettre en lumière la justesse de son comportement.
Le spirituel en vient à convoquer la raison
En s’ouvrant à l’hospitalité, les intellectuels algériens ont ouvert le champ de leur recherche à la spiritualité et c’est donc la spiritualité elle-même qui a convoqué la raison, pour donner une plus grande chance à la découverte de la vérité. Nous étions loin de la conception qui fait de la spiritualité l’au-delà de la raison. En écoutant les interventions, j’avais l’impression que l’humain gagnait en intensité.
Il affine le fonctionnement de l’intelligence
L’intelligence a aussi sa dimension spirituelle et elle n’atteint sa complète extension que lorsqu’elle laisse une place à la spiritualité. Dès lors, comme j’ai pu le remarquer, au cours du colloque, le fonctionnement de l’intelligence gagne en finesse et en perspicacité. L’amour est tout proche si bien que l’approche de l’autre est marquée par une plus grande bienveillance.
De son côté, la religion est faite pour l’homme et non l’homme pour la religion
A partir de l’expérience du colloque avec des Algériennes et des Algériens, il est assez paradoxal que nous ayons été renvoyés du côté de la spiritualité beaucoup plus que du côté de la religion. Habituellement nous sommes plus attentifs aux pratiques religieuses qu’à l’exercice de l’hospitalité si bien que nous voyons sans voir et ne percevons pas le sens du comportement des croyants.
Il n’en reste pas moins que la religion peut avoir ses débordements lorsqu’elle oublie qu’elle est faite pour l’homme. Dans l’Evangile, le Christ avait perçu le danger, lorsqu’il affirmait avec force que le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat. Et ce débat n’est pas toujours tiré au clair dans le monde actuel, qu’il soit chrétien ou musulman.
Lorsqu’elle devient toute-puissante, elle peut être l’un des plus grands fléaux de l’humanité
La religion devient toute-puissante, lorsqu’elle oublie qu’elle est faite pour l’homme. Mgr Duval a été affronté à ce problème, à la fin de sa vie. Il était devenu algérien, en empruntant la voie de l’hospitalité. Aussi lorsque le FIS a perdu le sens, en oubliant que la religion est faite pour l’homme, sa conscience s’est trouvée écartelée. Il devait tenir, en même temps, la fidélité à l’Algérie et la fidélité à l’homme. D’une certaine façon, ce conflit ne pouvait être résolu que dans la mort.
Aujourd’hui, il est important de prendre conscience que la spiritualité est première et que la religion ne peut être que seconde : elle ne peut se justifier que si elle est au service de l’homme.
Etienne Duval