
Sodome de Rubens : Lot et sa famille fuyant
Les corps abusés et le mythe de Sodome et Gomorrhe
Depuis quelque temps, chaque jour, de nouveaux scandales concernant le viol ou la pédophilie rappelle à l’homme sa propre fragilité. En réalité le scandale est si massif que nous avons peine à trouver la boussole qui pourrait orienter nos comportements. En fait, il existe, dans la Bible, aux chapitres 18 et 19 de la Genèse, un mythe susceptible de nous éclairer. Il s’agit du mythe de « Sodome et Gomorrhe ».
Une maladie très grave qui s’en prend au cœur de la société
C’est l’église catholique qui est actuellement sous la lumière aveuglante des médias. 0r l’église catholique fait partie de la société : elle en est même une des principales instances morales et spirituelles. C’est dire que la maladie qui nous affecte est d’une extrême gravité : il s’agit de pédophilie avec des prêtres, parfois exemplaires aux yeux du public, de religieuses abusées par leur directeur spirituel, de la curie, proche du pape, qui cache ses incursions dans l’homosexualité en imposant aux fidèles des règles particulièrement homophobes. Pour sa part, le reste de la société n’échappe pas à de tels écarts : les milieux sportifs et les ONG sont affrontés à la pédophilie et les familles elles-mêmes ont de la peine à cacher de multiples dérives dans le domaine de l’inceste.
En abusant des corps cette maladie va à l’encontre de l’hospitalité
Pour bien faire comprendre de quoi il s’agit, le mythe met en parallèle l’hospitalité exemplaire d’Abraham et les pratiques scandaleuses de Sodome et Gomorrhe. Assez curieusement l’hospitalité d’Abraham s’intéresse particulièrement au bien-être du corps : il offre de l’eau pour que le passant puisse se laver les pieds, l’installe sous l’ombre d’un arbre, lui prépare des galettes et choisit le veau le plus tendre pour le restaurer.
Ayant levé les yeux, voilà qu'Abraham vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui ; dès qu'il les vit, il courut de l'entrée de la Tente à leur rencontre et se prosterna à terre. |
Il dit : Monseigneur, je t'en prie, si j'ai trouvé grâce à tes yeux, veuille ne pas passer près de ton serviteur sans t'arrêter. |
Qu'on apporte un peu d'eau, vous vous laverez les pieds et vous vous étendrez sous l'arbre. |
Que j'aille chercher un morceau de pain et vous vous réconforterez le cœur avant d'aller plus loin ; c'est bien pour cela que vous êtes passés près de votre serviteur ! Ils répondirent : Fais donc comme tu as dit. |
Abraham se hâta vers la tente auprès de Sara et dit : Prends vite trois boisseaux de farine, de fleur de farine, pétris et fais des galettes. |
Puis Abraham courut au troupeau et prit un veau tendre et bon ; il le donna au serviteur qui se hâta de le préparer. |
Il prit du caillé, du lait, le veau qu'il avait apprêté et plaça le tout devant eux ; il se tenait debout près d'eux, sous l'arbre, et ils mangèrent. (Gn 18,2-18,8) |
Pour souligner qu’on est ici au cœur de la morale, le texte précise que, derrière les hôtes reçus par le patriarche, c’est Dieu lui-même qui se cache. Bien plus l’hospitalité s’inscrit dans la logique de la vie, puisque Sara, la femme d’Abraham, aura un fils l’an prochain.
En opposition à ce récit, le texte nous décrit l’attitude des Sodomites lorsque Lot, le neveu d’Abraham, fait entrer chez lui, deux invités étrangers
Quand les deux Anges arrivèrent à Sodome sur le soir, Lot était assis à la porte de la ville. Dès que Lot les vit, il se leva à leur rencontre et se prosterna, face contre terre. |
Il dit : Je vous en prie, Messeigneurs ! Veuillez descendre chez votre serviteur pour y passer la nuit et vous laver les pieds, puis au matin vous reprendrez votre route, mais ils répondirent : Non, nous passerons la nuit sur la place. |
Il les pressa tant qu'ils allèrent chez lui et entrèrent dans sa maison. Il leur prépara un repas, fit cuire des pains sans levain, et ils mangèrent. |
Ils n'étaient pas encore couchés que la maison fut cernée par les hommes de la ville, les gens de Sodome, depuis les jeunes jusqu'aux vieux, tout le peuple sans exception. |
Ils appelèrent Lot et lui dirent : Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit ? Amène-les-nous pour que nous en abusions. |
Lot sortit vers eux à l'entrée et, ayant fermé la porte derrière lui, |
il dit : Je vous en supplie, mes frères, ne commettez pas le mal ! |
Écoutez : j'ai deux filles qui sont encore vierges, je vais vous les amener : faites-leur ce qui vous semble bon, mais, pour ces hommes, ne leur faites rien, puisqu'ils sont entrés sous l'ombre de mon toit. |
Mais ils répondirent : Ote-toi de là ! En voilà un qui est venu en étranger, et il fait le juge ! Eh bien, nous te ferons plus de mal qu'à eux ! Ils le pressèrent fort, lui Lot, et s'approchèrent pour briser la porte. |
Mais les hommes sortirent le bras, firent rentrer Lot auprès d'eux dans la maison et refermèrent la porte. (Gn 19,1-19-10)
Elle se répand comme une traînée de poudre Toute la population de la ville risque de disparaître. Abraham supplie Dieu de ne pas condamner le juste et le pécheur. S’il y a 50 justes, le Seigneur est prêt à épargner tous les habitants. Mais il n’y pas 5O justes. Peut-être y en a-t-il 40 ? Les quarante ne sont pas là. On descend jusqu’à 10. Une fois encore, les dix échappent à l’appel. En réalité seul Lot lui-même n’a pas été contaminé par la maladie qui s’est répandue comme une traînée de poudre. Lui seul a conservé la pratique de l’hospitalité. Par le jeu du mimétisme, tous les autres habitants ont cédé à la tentation de la jouissance en abusant du corps de l’autre et des autres. Ils sont tous là, jeunes et vieux, prêts à se jeter sur les hôtes étrangers de Lot. Si les corps sont abusés, il n’y a plus de place pour l’avenir car ce sont les corps qui portent la vie.
La contamination ne concerne plus seulement quelques individus : c’est la société tout entière qui est en danger parce qu’elle subit de plein fouet les assauts de l’épidémie. Lorsque le texte dit que « Yahvé fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu », cela signifie plus simplement que la vie n’est plus possible : la loi qui la régit est devenue complètement défaillante.
Le danger est désormais trop grand de voir le mal gagner la partie. Lot est averti, il ne doit plus regarder en arrière. Sa femme, pourtant, retenue par le souvenir et le regret, se retourne pour mieux prendre conscience de la situation : elle est aussitôt transformée en statue de sel, incapable d’offrir un espace à la vie. On s’est beaucoup interrogé, à Lyon, sur la responsabilité du cardinal Barbarin. Sans doute est-elle moins engagée que celle de ses prédécesseurs. Mais, en s’interrogeant, peut-être trop longtemps, sur l’importance du secret et le scandale possible, à l’intérieur de l’église, il n’a pas mesuré les risques de l’épidémie en cours. La justice a finalement condamné son comportement trop hésitant et le voici acculé à la démission, inapte à assumer la responsabilité de serviteur de la vie.
Des corps ont été abusés ; ils sont fatigués. Il est temps de leur offrir une nouvelle hospitalité pour leur permettre de se refaire. Nous sommes renvoyés à l’attitude d’Abraham, pleine de bienveillance. C’est l’antidote la plus adaptée pour restaurer les corps et mettre fin à l’épidémie que nous sommes en train de traverser. Peut-être les chrétiens sont-ils amenés à réfléchir à l’hospitalité du Christ lui-même au moment de quitter ce monde. Non seulement il a pris soin des corps des hommes en leur ouvrant les portes de la résurrection mais, pour les accompagner, il leur a donné son propre corps à manger et son propre sang à boire. J’avoue que j’ai personnellement du mal à entrer dans un tel mystère. Et pourtant je suis très sensible à l’insistance sur l’importance décisive du corps au moment où notre civilisation contribue à le malmener au point de le mettre en danger. Etienne Duval
|