
La ville de Ghardaïa
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Comme des mages venus d’Orient, les Arabes sont porteurs de somptueux trésors
Je pense personnellement que nous faisons fausse route dans nos rapports avec la culture arabe. Nous sommes crispés dans des peurs non raisonnées et nous faisons comme si le bien était de notre côté et le danger du côté d’autres courants que nous ne maîtrisons pas. Pour faire simple, sans chercher à justifier mon point de vue, je dirai qu’en Occident, nous sommes du côté de la rationalité alors que la culture arabe s’enracine dans une sorte de sensibilité esthétique où le beau conduit à une autre forme de la vérité.
Un restaurant marocain transformé en palais d’Orient
Il y a six jours à peine, juste après Noël, une amie m’invite dans un restaurant marocain de Lyon. Dès que je rentre, je suis ébloui par la beauté du lieu. Des couleurs multiples et douces viennent égayer les murs et le plafond. Les sièges avec des dizaines de coussins se déploient autour de superbes tables. Comme nous ne sommes que deux, la serveuse ne nous installe pas face à face, mais côte à côte dans un coin en angle droit. Tout est fait pour la qualité de l’accueil. Nous voici transportés dans un véritable palais, en proie aux rêves qui précèdent une nouvelle naissance.
La maison de Nabatieh avec ses cinq salons
Tout cela m’évoque une maison surprenante au Liban. Grâce à Mohamed, lui-même d’origine libanaise, nous avions organisé « L’Opération des Mille et Un Fauteuils Roulants » regroupant plusieurs ONG françaises en lien avec deux associations locales Arc-en-ciel à Beyrouth et Sarafand près de Saïda. C’était entre 1996 et 2001. Il s’agissait de fournir des fauteuils roulants à des milliers de handicapés, victimes de la guerre du Liban. Ahmed était alors directeur des relations extérieures à Sarafand. Personnellement, j’étais chargé de l’évaluation de l’opération, ce qui m’obligeait à suivre de très près les différents moments de l’action. Un dimanche, Ahmed nous invite à plusieurs, dans sa maison près de Nabatieh. Nous sommes reçus comme des princes. Il y a là cinq très beaux salons. Nous entrons dans celui qui était réservé aux hommes, en face d’un autre seulement réservé aux femmes. Chacun avait ses couleurs et son aménagement particuliers. Ce lieu de rêve jouait un rôle important dans la vie d’Ahmed. Il nous disait : « J’ai une famille de quatre enfants : trois filles et un garçon. Je tiens mon équilibre à cause de ma base, dans ma maison près de Nabatieh. Je souhaite que ce que je trouve au sein de la famille soit un exemple comme lieu de bonheur ».
Une promenade magique dans la Médina de Fès
Au mois d’avril 2012, je participe, à Fès, à un colloque sur la traduction des textes sacrés. Or une demi-journée est consacrée à la visite de la Médina. Ce sont 14000 maisons qui sont installées là avec leurs toits couleur de pierre et de terre. La ville a été fondée au 9è siècle par Moulay Idriss 1er et, depuis 1981, elle est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.
Pendant plusieurs heures, nous sillonnons les multiples ruelles et admirons les palais, les mosquées avec leurs minarets verts, les madrasas, les restes de l’Université Al Quaraouiyine. Il y a là aussi de multiples ateliers qui accueillent les menuisiers, les vanniers et les femmes artisans. Tous les espaces ruissellent de beauté. Un de mes interlocuteurs me dit que la promenade dans la médina de Fès a un effet thérapeutique pour tous les habitants de la ville. Et sans doute aussi pour les touristes.
La ville bleue de Ghardaïa qui surgit de la nuit
C’était il y a déjà longtemps. En 1979, je décide de m’approcher du Sahara. Rendu à Alger, je prends un car pour plus de 600 km, qui doit m’emmener à Ghardaïa. Le voyage est long et fatigant mais l’aboutissement est merveilleux. Il est six heures du matin. Tout à coup, nous voyons surgir sur une colline, une ville toute bleue, qui sort de la nuit. Le désert qui l’entoure la met encore plus en valeur. Je ne sais plus si je suis dans le rêve ou la réalité. J’en garde encore aujourd’hui un souvenir lumineux.
La femme qui change cinq fois de vêtement au cours d’un repas
Pour vérifier l’opportunité de ce blog, j’en parle, il y a deux jours, à un professeur tunisien. Il me rassure, me disant que mon intuition est juste et, pour aller dans mon sens, il me raconte une petite histoire. Il est invité au Maroc chez un collègue. Or il constate que la femme de son ami change cinq fois de tenue vestimentaire pendant la durée du repas. Ayant habité pendant de nombreuses années dans les banlieues lyonnaises, j’ai toujours constaté que le vêtement revêtait une grande importance, quels que soient les moyens financiers, pour les habitants maghrébins. Il doit contribuer à mettre en relief la beauté de celui qui le porte.
Tout homme, comme mon plombier de Noël, a la dignité d’un prince
Nous sommes le 27 décembre dernier. Le lendemain 28, je dois recevoir à midi sept personnes de ma famille. Or je constate qu’il y a une fuite au-dessous de mon évier. Vite, j’avertis Ali mon plombier. Il me fait savoir par SMS qu’il n’est pas libre dans l’immédiat. Après plusieurs appels répétés, il me répond, vers 5 heures de l’après-midi, qu’il passera peut-être dans deux heures. A 19 heures 30, il n’y a toujours pas d’Ali à l’horizon. De nouveaux appels se succèdent sans succès. Ali décroche pourtant vers 10 heures du matin, le lendemain. Il me fait espérer qu’il sera chez moi dans une heure et demie. Mais, comme je m’y attendais, mon plombier ne se présente pas à l’heure dite. Alors, je deviens raciste à l’intérieur de moi : « Ces Arabes n’ont pas de parole. On ne peut pas compter sur eux ! » Je prends provisoirement mon mal en patience en installant une cuvette dans l’évier. Et puis, à 12h30, un appel de la porte : c’est mon frère qui voudrait que je lui ouvre le parking de l’immeuble. Je descends rapidement. Or Ali est là : en grand seigneur il salue tous les membres de ma famille, après avoir constaté nos ressemblances entre frères. Et puis il monte avec nous, repère rapidement les dégâts et donne, avec sa clef, un tour de vis, qui remet tout en ordre. Le voici triomphant, avec en plus la beauté du geste. Il nous souhaite à tous un très bon repas.
La beauté de l’Orient est là pour redonner chair humaine à la prétentieuse raison de l’Occident
Ici, en occident, nous pensons que la raison a forcément raison de tout. C’est logiquement convenable, mais la raison n’a ni corps ni émotion. Elle se déploie dans un univers inhumain. Il lui faut le tour de vis de mon plombier arabe, avec son geste princier pour retrouver sa dimension humaine et donner toute sa splendeur à une vérité, qui, jusque-là, reste trop désincarnée. Si nous voulons continuer notre marche vers un avenir plus radieux, nous avons besoin d’un mariage entre la beauté et la raison, entre l’Orient et l’Occident.
Etienne Duval