
Le caducée
L’ostéopathe, le serpent et la parole
Je voudrais vous raconter une histoire très récente. Elle date d’une quinzaine de jours à peine. La raconter est, pour moi, une obligation, de telle sorte qu’elle produise tous ses effets positifs.
L’ostéopathe
Chaque année je vais consulter un thérapeute pour une séance d’ostéopathie. Ce n’est pas un mal particulier qui m’amène à ce rendez-vous annuel. Après expérience, je me rends compte que chaque séance contribue à améliorer mon état général. L’ostéopathe remet en route la machine de telle manière que je devienne mon propre médecin et opère ma propre guérison. Vous pensez, sans doute, que cela est magique. Non, c’est plutôt un retour aux origines de la médecine, comme vous le comprendrez plus tard.
Le blocage
Au départ, je me positionne, le dos face au thérapeute. Il acquiert ainsi une idée générale de mon état. C’est alors qu’il me demande de m’étendre sur le dos et parfois sur le ventre. Ses massages commencent par le bas et s’effectueront tout le long de la colonne vertébrale. Parfois ils s’attarderont sur telle ou telle partie du dos, selon les problèmes particuliers qui sont détectés. Ils se font très en douceur sans aucune brusquerie, qui pourrait contrarier l’une ou l’autre vertèbre. Mais assez vite le thérapeute constate un durcissement des muscles.
La question
L’ostéopathe inquiet me demande si je n’ai pas eu un traumatisme important. « Ce que je constate, me dit-il, vient souvent d’un événement qui finit par blesser profondément l’individu et le corps tout entier ». A part un accident de bicyclette, je ne détecte, dans ma vie, rien de très important. En souriant je dis que tous les membres de ma famille ont eu un accident mortel. Mais finalement ils en sont sortis bien vivants. Où donc veut m’emmener ce thérapeute, pas tout à fait comme les autres ? Il y a bien quelque chose, un domaine intime que je voudrais tenir secret. Je finis par céder en le nommant.
Grande surprise : la parole provoque un déblocage
A peine mon évocation énoncée, les petits muscles jusqu’ici contrariés se détendent. Le thérapeute est surpris, émerveillé. Il a compris que quelque chose d’important venait de se passer. Avant de me soulever de l’assise sur laquelle je suis étendu, il me dit : « Faites attention, ne vous relevez pas trop vite ! » Il avait bien raison de m’avertir ainsi. Aussitôt dressé sur mes deux jambes, je me sens pris de vertiges. « Ne vous inquiétez pas, reprend l’ostéopathe. C’est normal : votre corps a beaucoup travaillé. » Reprenant mes esprits, je paie ma consultation et je repars, sachant bien que d’autres événements m’attendent. Le processus enclenché est loin d’être terminé.
Mon écriture se débloque à son tour
Depuis pas mal de temps, je sentais que mon écriture était un peu bloquée. Et cela m’humiliait d’autant plus que je suis graphologue, à mes heures perdues, théoriquement reconnu par la profession. Or, depuis ma séance d’ostéopathie, mon écriture se détend comme les muscles de ma colonne vertébrale. Ce phénomène me paraît de bon augure car, pour moi, l’écriture est la matrice de la parole. En effet, les choses finissent par se clarifier dans ma tête. Au-delà du domaine concerné par mes difficultés, je prends conscience d’un traumatisme important, qui, d’une certaine façon, m’a fait traverser la mort.
Le serpent qui pique et qui guérit
Le problème, c’est que le traumatisme a été provoqué par un individu, que je connaissais. Aussi je sens la révolte monter en moi, comme si cette personne m’avait détourné de ma voie et avait anéanti le bon déroulement de ma vie. Avec un peu de réflexion pourtant, je fais machine arrière en pensant au serpent. Le serpent pique et, en même temps, il guérit. Il nous permet d’être affronté à la mort et c’est de sa blessure que peut jaillir la parole qui nous sauve. Sans affrontement à la mort, il n’est pas de parole véritable. Un mythe égyptien, « Le conte du naufragé », le montre avec beaucoup d’habileté. Un marin, sur un bateau avec une centaine de compagnons, s’est trouvé affronté à une tempête. Il en est ressorti le seul survivant et se retrouve sur une île, regorgeant de fruits, de céréales et de légumes de toute espèce. Assez rapidement, un serpent s’interpose, c’est lui le propriétaire de l’île. Le marin prend peur et voudrait se sauver. Mais avec beaucoup d’aménité le serpent le fait entrer dans son antre et le convie à une séance de thérapie. Il lui explique que ses 88 frères ont péri dans un incendie et il est resté le seul survivant. Et, c’est à travers cet événement qu’il a compris le cheminement de la vie : il faut passer par un affrontement à la mort pour découvrir sa véritable voie.
Ainsi l’individu qui m’a infligé une profonde blessure, pareille à la piqûre du serpent, a été, sans que je le sache, une forme de thérapeute.
La parole qui s’accomplit dans le pardon
Je comprends maintenant qu’il a besoin de ma parole pour guérir, à son tour, du mal qu’il m’a fait et de la blessure qu’il a provoquée en moi. Je me trouve à un moment important et ma parole doit faire un grand saut pour devenir pardon ou parole de pardon. Pour la première fois de ma vie, je lui accorde le pardon dont il a besoin. En fait, je lui avais déjà exprimé ce pardon. Mais celui-là restait très formel parce qu’il n’était pas cette parole ultime qui sort du fond de l’être et qui résume l’essentiel de la parole.
La parole comme nouvelle colonne vertébrale
Dans l’histoire que j’ai racontée, on voit clairement qu’il ne suffit pas de guérir la colonne vertébrale du corps. Il faut aussi que le mal qu’elle révèle passe dans la parole pour qu’une véritable guérison soit opérée. C’est ce qu’avaient compris, depuis très longtemps, les penseurs anciens. L’emblème du médecin était représenté par un caducée, où l’on voit le serpent de la blessure et de la parole entourer la colonne elle-même.
Personnellement, je suis très sensible à une telle pensée, parce que la structure de mon prénom (Etienne) est représentée par le t. Et je sais, par expérience, que le t, dans une écriture, révèle tous les dysfonctionnements de la colonne vertébrale. Cette lettre semble donc représenter la colonne vertébrale elle-même dont il faut prendre grand soin.
La médecine perd son âme lorsqu’elle perd la parole
Finalement, mon thérapeute a retrouvé une vérité très ancienne, en associant le massage à la parole. Je précise qu’il s’agit avant tout de la parole du patient qu’il provoque par sa question. Aujourd’hui la médecine elle-même est menacée par la technique (y compris la chimie) qui a favorisé ses plus grands progrès. Il est temps qu’elle réapprenne à marcher sur ses deux jambes : celle de la technique et celle de la parole.
Etienne Duval