La femme adultère par Alessandro Varotari
Le jour où le Christ sortit de la religion pour sauver l’homme
C’était à un moment où Jésus suscitait l’admiration des foules et l’hostilité des religieux, grands prêtres et pharisiens. On raconte alors que les gardes envoyés pour l’arrêter ne purent se résoudre à exécuter la tâche demandée car ils étaient séduits par son humanité : « Jamais homme n’a parlé comme parle cet homme. »
8,1
Quant à Jésus, il alla au mont des Oliviers.
8,2
Mais, dès l'aurore, de nouveau il fut là dans le Temple, et tout le peuple venait à lui, et s'étant assis il les enseignait.
8,3
Or les scribes et les Pharisiens amènent une femme surprise en adultère et, la plaçant au milieu,
8,4
ils disent à Jésus :"Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère.
8,5
Or, dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu ?"
8,6
Ils disaient cela pour le mettre à l'épreuve, afin d'avoir matière à l'accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à écrire avec son doigt sur le sol.
8,7
Comme ils persistaient à l'interroger, il se redressa et leur dit :"Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre !"
8,8
Et se baissant de nouveau, il écrivait sur le sol.
8,9
Mais eux, entendant cela, s'en allèrent un à un, à commencer par les plus vieux ; et il fut laissé seul, avec la femme toujours là au milieu.
8,10
Alors, se redressant, Jésus lui dit :"Femme, où sont-ils ? Personne ne t'a condamnée ?"
8,11
Elle dit :"Personne, Seigneur. Alors Jésus dit :"Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus." (Evangile de Jean, Bible de Jérusalem)
L’Evangile est révélation de ce qu’est l’homme
Il est possible de considérer l’Evangile de différents points de vue. Pour moi la façon la plus opérante consiste à y voir non pas d’abord la révélation de Dieu mais la révélation de l’homme car s’il y a révélation de Dieu, elle passe par la révélation de l’homme. En effet, selon la foi des chrétiens, c’est en l’homme que Dieu vient établir sa demeure et c’est en lui d’abord qu’il cherche à se manifester. Ainsi, dans l’épisode qui nous est présenté, ce ne sont pas les scribes et les pharisiens, officiellement représentants de Dieu, qui sont importants, c’est la femme elle-même qui est au centre du tableau. En elle se révèle toute l’humanité de l’homme. Or qu’apprend-on ici de l’homme lui-même ?
L’homme est pécheur : c’est en se trompant qu’il découvre sa voie
La femme adultère est pécheresse et c’est bien pour cette raison que les responsables religieux veulent la lapider. Elle n’a plus besoin de se cacher car son péché saute aux yeux de tous ses proches. Par contre les scribes et les pharisiens sont soucieux de donner l’exemple et de faire respecter la loi. Pourtant, ils n’échappent pas à la règle commune : ils sont atteints au cœur par le péché qu’ils dénoncent chez les autres. Leur conscience habilement sollicitée par Jésus ne les autorise pas à jeter des pierres sur la pauvre femme pourtant condamnée à une mort certaine. « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre. » Or ils s’en vont tous les uns après les autres.
Francesco Azzimonti, spécialisé dans l’alphabétisation, rapporte les mots de Michel Serres, avec qui il a eu un entretien. « L’erreur est inscrite dans la nature, elle est inscrite au cœur même de la vie… C’est par l’erreur que s’accomplissent les progrès… Fondamentalement, l’erreur est le propre de l’homme… L’homme se trompe et c’est parce qu’il se trompe qu’il invente… Qu’est-ce que l’homme ? C’est celui qui commet des erreurs… » Celui qui est pécheur.
La religion l’enferme dans la culpabilité et finit par le condamner à mort au nom de l’Ecriture
Officiellement, la religion cherche à aider l’homme à retrouver sa voie. Elle s’appuie, pour cela, sur l’irruption du sacré dans l’histoire d’un groupe. C’est ainsi que la conscience s’affine. Mais elle ne fait qu’une partie du chemin et, de ce fait, elle place le sacré où il n’est pas. Pour maintenir la conscience éveillée, elle crée, à juste titre, des récits visant à maintenir la mémoire de ce qui s’est passé. Ainsi, dans les religions du Livre, le sacré de l’origine en vient-il malencontreusement à être transféré sur l’écriture elle-même si bien que cette écriture s’impose à la conscience de l’homme en l’enfermant dans la culpabilité, au lieu de le remettre en marche.
L’être humain court alors le risque de donner une place démesurée au passé et à la mémoire et de jouer ainsi sa vie sur la répétition. Or la vie est en constante évolution : elle invente constamment la vie. Parce qu’elle ne met pas le sacré à sa place, c’est-à-dire dans la vie elle-même, à l’articulation du passé et de l’avenir, de l’origine et de la fin, la religion déviante peut entraîner la mort de l’homme.
Pour sauver l’homme en le remettant dans la vie, Jésus sort de la religion
Il ne faudrait pas considérer la religion comme un mal en soi. Elle est le premier temps d’une démarche qu’il faut mener jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’à l’articulation que constitue la vie. Il est donc nécessaire de la dépasser. Jésus l’a très bien compris. C’est pourquoi il se met à écrire sur le sol. Pour lui, loin d’être sacrée, l’Ecriture est soumise à l’épreuve du temps. Les pas des passants vont finir par la faire disparaître. Comment pourrait-elle s’imposer à l’homme et le condamner à mort ? A la fin, seule la femme reste au milieu du tribunal, spontanément organisé par les accusateurs. Le sacré est passé de l’Ecriture à la vie de l’accusée. Plus personne ne peut la mettre à mort. La religion privée de l’appui de l’Ecriture a perdu sa consistance : elle est finalement dépassée
La miséricorde, inscrite au cœur de la vie, dicte la compassion et non la condamnation
Il est possible de pousser un peu plus loin la réflexion. Si la vie est sacrée, c’est qu’elle porte en son cœur la miséricorde, comme le moteur qui la fait évoluer. Elle tâtonne et c’est, comme nous l’avons déjà dit, en se trompant, en se perdant dans des erreurs insidieusement appelés péchés, qu’elle finit par retrouver sa voie, tous les jours à réinventer. Aussi la condamnation devient-elle un instrument de mort. Seule la compassion accordée à la miséricorde peut permettre à la femme adultère et à tout homme de reprendre sa marche en avant. « Personne ne t’a condamnée ? … Moi non plus je ne te condamne pas. Va » sur la route de la vie sans te laisser enfermer par ta culpabilité et ceux qui la cultivent…
Etienne Duval