Chahrazade
Chrazadehttp://belly-danceuse.skyrock.com/3.html
A l’origine de chaque culture, il y a une lumière fondamentale, qui doit orienter le destin et le fonctionnement humain. Or cette lumière arrive dans un environnement, qui, par ses imperfections, peut détourner du message initial. Il importe alors de séparer le bon grain de l’ivraie, de dégager la pierre précieuse de la gangue qui l’entoure. En fait, il semble que, dans la culture musulmane, ce travail reste encore inachevé, comme semblent le manifester les violences meurtrières de l’islamisme. Et, pourtant l’Islam et les cultures avoisinantes ont produit un texte prophétique, souvent déprécié, qui montre le chemin de la purification à entreprendre : il s’agit des Mille et Une Nuits, qui s’expriment de manière admirable dans la parole de Chahrazade elle-même.
Le dialogue à la source de la culture
La parole est dialogue avec l’autre. Elle structure toute culture pour l’orienter vers la vérité. Contrairement à ce que nous croyons spontanément, elle ne présente pas un message parfaitement défini : son message ne pourra se manifester que dans le temps, dans un dialogue intérieur et peut-être plus encore dans le dialogue avec les autres cultures. J’ai personnellement beaucoup fréquenté le Liban et je dois dire, qu’en dépit de la guerre importée d’Israël, entre Palestiniens et Israéliens, il existe, dans ce pays, une sérénité de fond que je ne retrouve pas en France : une telle sérénité vient d’une confrontation constante entre la culture musulmane et la culture chrétienne, à tel point que le musulman est d’autant plus musulman qu’il porte en lui de solides racines chrétiennes. Et il en va de même pour le chrétien, qui découvre dans l’Islam un miroir tout à fait apte à réfléchir la culture venue du christianisme. C’est pourquoi la peur que certains éprouvent, en France, face aux Musulmans, me paraît, en partie, infondée. C’est plutôt à un enrichissement considérable des uns et des autres que prépare la confrontation quotidienne de nos cultures différentes. Le dialogue, en effet, a le pouvoir d’effacer les imperfections de chacune des parties.
Le problème non résolu de la violence dans la culture musulmane
C’est bien la culture musulmane qui produit l’islamisme et ses violences meurtrières, si contraires au message de l’Islam. Le terreau sur laquelle elle est apparue a contaminé la parole qui l’a structurée, au point de faire apparaître la violence antérieure comme une injonction de Dieu. Il fallait un travail de purification et ce travail n’est pas encore achevé. Il est vrai qu’une forme de violence fait partie de la nature humaine : il existe une pulsion de mort, qui, sous la pression de l’interdit du meurtre, doit se transformer en force de séparation, nécessaire à l’épanouissement de la vie. Or, dans une petite partie de la culture musulmane elle-même, une telle transformation n’a pas été complètement effectuée ; la violence, dégagée des liens qui devaient l’humaniser, se déchaîne en se démultipliant, sous l’effet d’un mimétisme devenu incontrôlable, et engendre la jouissance, à tel point que le meurtrier trouve un plaisir indicible à tuer. Pour opérer la purification indispensable, il faut accepter l’interprétation, comme le pensait déjà Averroès, car le Coran n’est pas la Parole de Dieu mais un Livre, transmis sous la forme d’une écriture. Et l’écriture ne livre ses secrets que sous l’effet d’un patient travail d’interprétation. Pour un certain nombre de Musulmans intégristes, l’effort de purification se trouve contrarié, sous prétexte de fidélité, par une forme d’interdit de l’interprétation.
L’intuition de Chahrazade
Dans les Mille et Une Nuits, Chahrazade avait pris conscience du problème. Elle pensait, en effet, que la parole comporte une double face, une face féminine et une face masculine. Or l’homme ne retient que la face masculine et ne peut entendre la parole féminine. Le dialogue fondamental entre l’homme et la femme se trouve ainsi contrarié et, il en résulte, pour la société entière, une violence destructrice. On oubliait ainsi que l’homme n’est pas simplement engendré par la sexualité : il l’est aussi par la parole. Dans la situation décrite par Les Mille et une Nuits, il manquait la parole de la femme pour que l’engendrement soit complet. C’est pourquoi, Charazade va faire passer le roi, que la violence avait profondément contaminé, par une cure thérapeutique de trois ans environ, en lui faisant écouter la parole de la femme sous la forme de plus d’un millier de contes. Non seulement l’oreille du roi finira par s’ouvrir complètement, au point que son engendrement par la parole trouvera ainsi son accomplissement, mais Chahrazade elle-même aura le temps de donner naissance à trois superbes enfants. Au terme de la cure, la violence avait disparu chez le roi. Et, sous la puissance de l’exemple, elle avait aussi disparu chez les citoyens et dans la société entière.
Le dialogue dans la société et entre les cultures passe par le dialogue entre l’homme et la femme
Le dialogue entre l’homme et la femme est fondamental car il est au croisement de tous les autres dialogues dans la mesure même où il s’inscrit au cœur même du désir. C’est pourquoi tout écart et tout dysfonctionnement à ce niveau auront des répercussions importantes sur tous les autres dialogues, qui impliquent le jeu du désir, à l’intérieur de la société ou même entre les différentes cultures. Chahrazade a parfaitement compris qu’en redonnant toute sa place au dialogue homme/femme au sein du couple royal par la cure thérapeutique mise en place, elle agissait de manière bénéfique sur le gouvernement du royaume dans son ensemble. « L’allégresse se répandit partout, depuis le palais du roi jusqu’aux quartiers reculés de la ville. Oui, le souvenir de cette nuit-là fut unique dans la mémoire de tous ceux qui la vécurent, nuit plus brillante même que le visage resplendissant du jour... On battit du tambour, on joua de la flûte. Les baladins les plus habiles donnèrent des représentations gratuites devant la foule et le roi les combla eux aussi de faveurs et de cadeaux. Il fit de larges aumônes aux pauvres et aux indigents, et sa générosité étendit ses bienfaits jusqu’au dernier des habitants de son royaume. Ainsi vécurent-ils, lui et les siens, dans le bien-être, le plaisir, le bonheur et la gaîté… jusqu’à ce qu’ils fussent rejoints par celle qui efface toute jouissance et disperse les assemblées… » (Chahrazade).
Le dérèglement du croire qui engendre la toute-puissance destructrice du dialogue
Lorsque le dialogue homme/femme est vécu dans l’inégalité et que l’homme lui-même exerce sa toute-puissance sur sa compagne, l’attitude religieuse s’en trouve perturbée. La toute-puissance de l’homme engendre la toute-puissance de Dieu et le contenu de la foi court le risque d’être vécu comme une injonction qui ne peut être soumis à la discussion ou à la réflexion. Il en arrive à s’imposer contre l’évidence même de la réalité et du réel. A un moment donné, il est nécessaire de décrocher du croire pour accueillir la lumière toujours nouvelle de l’autre et de l’Autre. Mais pour passer du croire à l’accueil de la lumière, il faudrait que le jeu du masculin et du féminin puisse s’effectuer normalement, le féminin favorisant l’attitude d’accueil et de réceptivité. Ainsi la violence qu’engendre une relation inégalitaire entre les hommes et les femmes risque, à tout moment, d’être transférée non seulement dans la relation avec l’autre mais aussi dans la relation avec le Dieu des croyants.
La construction d’un sujet ouvert à toutes les femmes et à tous les hommes
A terme, dans le jeu du dialogue, ce qui est en cause, c’est la construction d’un sujet ouvert non seulement à une femme ou à un homme, mais à toutes les femmes et à tous les hommes. La relation singulière, amicale ou amoureuse, suppose en effet la possibilité d’un dialogue universel, qui n’exclut aucune femme et aucun homme. Sans doute s’agit-il d’un but à atteindre, qui va demander une vie entière. En aucun cas, il ne pourra être atteint si le dialogue initial homme/femme est bloqué et soumis à la violence à cause d’un rapport inégalitaire.
Etienne Duval