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La figure révolutionnaire du Christ pour Saint Paul
En ces moments où notre attention est attirée par les remous de plusieurs peuples en révolution, la relecture de Saint Paul nous montre que le christianisme est fondé sur un acte révolutionnaire opéré par le Christ lui-même. Il ne s’agit pas d’une révolution, qui s’inscrirait dans un environnement particulier, mais d’une révolution radicale, qui ouvre la voie pour la libération de la liberté elle-même. Elle se présente comme l’accomplissement et la matrice de toute révolution.
Le souffle de la révolution au cœur du christianisme pour Saint Paul
Dans l’épitre aux Galates, chapitre 5, Saint Paul sent une menace peser sur les premiers chrétiens : certains voudraient imposer aux nouveaux convertis la circoncision exigée par le judaïsme. Le risque d’un retour en arrière est manifeste et la révolution opérée par le Christ est en danger. L’apôtre est hors de lui. Dès le début du chapitre, il fait jouer ensemble les deux mots, liberté et libération, qui se renforcent l’un et l’autre, pour souligner la dimension originale du christianisme. « C’est pour la liberté que le Christ nous a libérés ; tenez donc ferme et ne vous mettez pas à nouveau sous le joug de l’esclavage » (Ga, 5,1, traduction Osty). Et un peu plus loin, il insiste à nouveau : « Pour vous, frères, c’est à la liberté que vous avez été appelés » (Ga, 5, 13).
Le désir fondamental d’être soi et l’avènement du sujet
Ici, le Christ répond à un désir fondamental de l’homme, au désir d’être soi, qui est aspiration à la liberté. D’emblée, il ouvre l’espace le plus large possible à la construction et à l’avènement du sujet. L’homme n’est pas fait pour l’esclavage, sous toutes ses formes. Il doit pouvoir respirer, à pleins poumons, dans le souffle même de la liberté. Et, dans son épitre, l’apôtre cherche moins à imposer une doctrine nouvelle qu’à engager les fidèles dans l’acte de penser, qui est libération de l’esprit au cœur de lui-même. Il s’agit de faire sortir les fidèles de l’idéologie ancienne, qui conditionne encore leur manière de réagir, en leur apprenant à penser par eux-mêmes. Un combat est mené entre l’idéologie qui pense pour vous et la pensée elle-même, qui implique l’affirmation du sujet. Penser c’est toujours penser par soi-même. Saint Paul a tellement réussi en ce sens qu’il continue, aujourd’hui encore, à alimenter notre propre pensée en lui fournissant les éclairages les plus essentiels. Peut-être nous rappelle-t-il ainsi que le fait de penser est un des fondements essentiels de notre liberté.
L’ancrage dans l’élan de la vie et le souffle de l’Esprit
L’apôtre Paul cherche à nous faire entrer dans l’élan de la vie ou l’élan même de la création. Il parle du pneuma, qui est littéralement le souffle de la vie et il l’oppose à la chair, qui échappe à ce souffle. Malheureusement le mot grec a été mal traduit : le traducteur parle d’esprit, faisant penser à une dialectique qui n’existe pas dans le texte entre ce qui est spirituel et ce qui est charnel. Nous avons, en effet, oublié qu’esprit veut dire souffle de vie et nous orientons le sens d’un tel mot en direction d’une réalité particulièrement éthérée, qui est contraire à la vérité « Je le dis : conduisez-vous par le souffle de vie, et vous n’accomplirez pas la convoitise de la chair » (Ga, 5, 16). Et il insiste ainsi jusqu’au verset 26, multipliant les mots et les évocations pour nous ancrer dans le souffle créateur de la vie et nous écartant délibérément de tout comportement qui se situerait en dehors d’un tel élan. Or c’est aussi le désir lui-même qui est en cause, pour les hommes, car il est porteur du dynamisme de la vie.
En passant par le souffle de la vie, Paul veut faire comprendre que le Christ nous entraîne du côté de l’Esprit, utilisant le même mot « Pneuma », mais avec une majuscule. Autrement dit il ne suffit pas d’adhérer au Christ, il est également nécessaire de se convertir au Souffle créateur de l’Esprit comme il l’a fait lui-même. Il faut aller jusqu’au bout de l’ancrage dans l’élan de vie en s’arrimant à ce qui apparaît comme le Souffle fondamental. C’est L’Esprit qui justifie en nous installant dans une juste position. « Vous vous êtes exclus de Christ, vous qui cherchez la justification dans la Loi ; vous êtes déchus de la grâce. Pour nous, en effet, c’est par l’Esprit que nous attendons de la foi la justice espérée » (Ga 5, 4 et 5).
L’inscription de l’autre dans le sujet
Pour Paul et encore plus pour le Christ, le désir d’être soi qui conduit à l’avènement du sujet ne nous enferme pas dans une individualité refermée sur elle-même. La Loi, comme réalité structurante, débarrassée de ses particularités, a précisément pour but d’inscrire l’autre à l’intérieur du sujet. Aussi, en désirant être soi, l’homme est amené à désirer que le prochain soit aussi lui-même. Il devient impossible de s’aimer soi-même sans aimer l’autre car l’autre est intérieur à soi comme sujet. « … la Loi tout entière tient pleinement en une seule parole, en celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga, 5, 14).
Le scandale de la croix ou la mort comme passage vers la vie
A travers la révolution réalisée par le Christ pour que l’homme puisse accéder à la liberté du sujet, il reste encore à donner une place à la mort au sein même de l’être soi. Autrement dit, c’est non seulement l’autre qui est inscrit dans le sujet, c’est également la mort. Pour ceux qui ont peur de la mort, la croix apparaît scandaleuse : elle est proprement incompréhensible et même insensée au point d’arrêter les disciples de bonne volonté. Mais pour ceux qui acceptent de lui faire une place en eux-mêmes, elle devient passage vers la vie. Comment pourrais-je évoluer si je ne voulais rien perdre de cette vie qui est la mienne ? Comment la chenille pourrait-elle devenir papillon si elle n’acceptait pas de mourir en tant que chenille ? Et sous l’action de l’Esprit, la mort du Christ sur la croix et à sa suite notre propre mort sont une sorte de rupture nécessaire pour passer à un autre niveau et accéder à la vie éternelle. Ainsi les paroles de Paul deviennent-elles plus compréhensibles. « Pour moi, frères, si je prêche encore la circoncision, pourquoi suis-je encore persécuté ? Il est donc aboli, le scandale de la croix !... Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises » (Ga, 11 et 24). La croix du Christ révèle la nécessité de croiser la mort et la vie pour faire triompher la vie.
Le temps de la révolution est ouverture à l’engendrement du sujet chez l’homme
Par l’acceptation de sa mort sur la croix pour faire triompher la liberté, le Christ a posé un acte historique engageant l’humanité dans la voie d’un nouvel engendrement. Il a, en effet, éclairé le passage qui conduit à la pleine libération de l’homme, à condition qu’il se convertisse au souffle créateur de la vie et finalement à l’Esprit, qui est le souffle fondamental, capable de libérer chacun des humains, au plus intime d’eux-mêmes.
Etienne Duval